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Confessiones
Caput 12
Ubi vero a fundo arcano alta consideratio traxit et congessit totam miseriam meam in conspectu cordis mei, oborta est procella ingens, ferens ingentem imbrem lacrimarum. et ut totum effunderem cum vocibus suis, surrexi ab Alypio -- solitudo mihi ad negotium flendi aptior suggerebatur -- et seccessi remotius, quam ut posset mihi onerosa esse etiam eius praesentia. sic tunc eram, et ille sensit: nescio quid enim, puto, dixeram, in quo apparebat sonus vocis meae iam fletu gravidus, et sic surrexeram. mansit ergo ille ubi sedebamus nimie stupens. ego sub quadam fici arbore stravi me nescio quomodo, et dimisi habenas lacrimis, et proruperunt flumina oculorum meorum, acceptabile sacrificium tuum, et non quidem his verbis, sed in hac sententia multa dixi tibi: et tu, domine, usquequo? usquequo, domine, irasceris in finem? ne memor fueris iniquitatum nostrarum antiquarum. sentiebam enim eis me teneri. iactabam voces miserabiles: quamdiu, quamdiu cras et cras? quare non modo? quare non hac hora finis turpitudinis meae? Dicebam haec, et flebam, amarissima contritione cordis mei. et ecce audio vocem de vicina domo cum cantu dicentis, et crebro repentenis, quasi pueri an puellae, nescio: tolle lege, tolle lege. statimque mutato vultu intentissimus cogitare coepi, utrumnam solerent pueri in aliquo genere ludendi cantitare tale aliquid, nec occurebat omnino audisse me uspiam: repressoque impetu lacrimarum surrexi, nihil aliud interpretans divinitus mihi iuberi, nisi ut aperirem codicem et legerem quod primum caput invenissem. audieram enim de Antonio, quod ex evangelica lectione, cui forte supervenerat, admonitus fuerit, tamquam sibi diceretur quod legebatur: vade, vende omnia, quae habes, da pauperibus et habebis thesaurum in caelis; et veni, sequere me: et tali oraculo confestim ad te esse conversum. itaque concitus redii in eum locum, ubi sedebat Alypius: ibi enim posueram codicem apostoli, cum inde surrexeram. arripui, aperui et legi in silentio capitulum, quo primum coniecti sunt oculi mei: non in comissationibus et ebrietatibus, non in cubilibus et inpudicitiis, non in contentione et aemulatione, sed induite dominum Iesum Christum, et carnis providentiam ne feceritis in concupiscentiis. nec ultra volui legere, nec opus erat. statim quippe cum fine huiusce sententiae, quasi luce securitatis infusa cordi meo, omnes dubitationis tenebrae diffugerunt. Tum interiecto aut digito aut nescio quo alio signo, codicem clausi, et tranquillo iam vultu indicavi Alypio. at ille quid in se ageretur -- quod ego nesciebam -- sic indicavit. petit videre quid legissem: ostendi, et adtendit etiam ultra quam ego legeram, et ignorabam quid sequeretur. sequebatur autem: infirmum vero in fide recipite. quod ille ad se rettulit mihique aperuit. sed tali admonitione firmatus est, placitoque ac proposito bono (et congruentissimo suis moribus, quibus a me in melius iam olim valde longeque distabat), sine ulla turbulenta cunctatione coniunctus est. inde ad matrem ingredimur, indicamus: gaudet. narramus, quemadmodum gestum sit: exultat et triumphat, et benedicebat tibi, qui potens es ultra quam petimus aut intellegimus facere, quia tanto amplius sibi a te concessum de me videbat, quam petere solebat miserabilibus flebilibusque gemitibus. convertisti enim me ad te, ut nec uxorem quaererem nec aliquam spem saeculi huius, stans in ea regula fidei, in qua me ante tot annos ei revelaveras: et convertisti luctum eius in gaudium, multo uberius, quam voluerat, et multo carius atque castius, quam de nepotibus carnis meae requirebat.
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Les confessions de Saint Augustin
CHAPITRE XII. « PRENDS, LIS! PRENDS, LIS! »
28. Quand, du fond le plus intérieur, ma pensée eut retiré et amassé toute ma misère devant les yeux de mon coeur, il s’y éleva un affreux orage, chargé d’une pluie de larmes.
Et pour les répandre avec tous mes soupirs, je me levai, je m’éloignai d’Alypius. La solitude allait me donner la liberté de mes pleurs. Et je me retirai assez loin pour n’être pas importuné, même d’une si chère présence.
Tel était mon état, et il s’en aperçut, car je ne sais quelle parole m’était échappée où vibrait un son de voix gros de larmes. Et je m’étais levé. Il demeura à la place où nous nous étions assis, dans une profonde stupeur. Et moi j’allai m’étendre, je ne sais comment, sous un figuier, et je lâchai les rênes à mes larmes, et les sources de mes yeux ruisselèrent, comme le sang d’un sacrifice agréable. Et je vous parlai, non pas en ces termes, mais en ce sens: « Eh! jusques à quand, Seigneur ( Ps. VI, 4)? jusques à quand, Seigneur, serez-vous irrité? Ne gardez pas souvenir de mes iniquités passées (Ps. LXXXIII, 5, 8). » Car je sentais qu’elles me retenaient encore. Et je m’écriais en sanglots : Jusques à quand? jusques à quand? Demain ?… demain?... Pourquoi pas à l’instant; pourquoi pas sur l’heure en finir avec ma honte?
29. Je disais et je pleurais dans toute l’amertume d’un coeur brisé. Et tout à coup j’entends sortir d’une maison voisine comme une voix d’enfant ou de jeune fille qui chantait et répétait souvent: « PRENDS, LIS! PRENDS, LIS! » Et aussitôt, changeant de visage, je cherchai sérieusement à me rappeler si c’était un refrain en usage dans quelque jeu d’enfant; et rien de tel ne me revint à la mémoire. Je réprimai l’essor de mes larmes, et je me levai, et ne vis plus là qu’un ordre divin d’ouvrir le livre de l’Apôtre, et de lire le premier chapitre venu. Je savais qu’Antoine, survenant, un jour, à la lecture de l’Evangile, avait saisi, comme adressées à lui-même, ces paroles: « Va, vends -ce que tu as, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel; viens, suis-moi ( Matth. XIX, 21); »et qu’un tel oracle l’avait aussitôt converti à vous.
Je revins vite à la place où Alypius était assis; car, en me levant, j’y avais laissé le livre de l’Apôtre. Je le pris, l’ouvris, et lus en silence le premier chapitre où se jetèrent mes yeux: « Ne vivez pas dans les festins, dans les débauches, ni dans les voluptés impudiques, ni en conteste, ni en jalousie; mais revêtez-vous de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et ne cherchez pas à flatter votre chair dans ses désirs. » Je ne voulus pas, je n’eus pas besoin d’en lire davantage. Ces ligues à peine achevées; il se répandit dans mon coeur comme une lumière de sécurité qui dissipa les ténèbres de mon incertitude.
30. Alors, ayant laissé dans le livre la trace de mon doigt ou je ne sais quelle autre marque, je le fermai, et, d’un visage tranquille, je déclarai tout à Alypius. Et lui me révèle à son tour ce (438) qui à mon insu se passait en lui. Il demande à voir ce que j’avais lu; je le lui montre, et lisant plus loin que moi, il recueille les paroles suivantes que je n’avais pas remarquées: « Assistez le faible dans la foi (Rom. XIV, 1). » Il prend cela pour lui, et me l’avoue. Fortifié par cet avertissement dans une résolution bonne et sainte, et en harmonie avec cette pureté de moeurs dont j’étais loin depuis longtemps, il se joint à moi sans hésitation et sans trouble.
A l’instant, nous allons trouver ma mère, nous lui contons ce qui arrive, elle se réjouit; comment cela est arrivé, elle tressaille de joie, elle triomphe. Et elle vous bénissait, « ô vous qui êtes puissant à exaucer au delà de nos demandes, au delà de nos pensées Ephés. III, 20), » car vous lui aviez bien plus accordé en moi que ne vous avaient demandé ses plaintes et ses larmes touchantes. J’étais tellement converti à vous que je ne cherchais plus de femme, que j’abdiquais toute espérance dans le siècle, élevé désormais sur cette règle de foi, où votre révélation m’avait jadis montré debout à ma mère. Et son deuil était changé (Ps. XXIV, 12) en une joie bien plus abondante qu’elle n’avait espéré, bien plus douce et plus chaste que celle qu’elle attendait des enfants de ma chair. (439)