Traduction
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Contre les Académiciens
34.
Dans mes loisirs de cette retraite, je m'étais longtemps demandé comment le probable et le vraisemblable pouvaient nous défendre de l'erreur dans nos actions. Je vis d'abord, comme je voyais lorsque je vendais mes leçons, que le probable était comme une maison bien couverte et bien défendue. Après avoir considéré tout de plus près, je crus remarquer une entrée par où l'erreur pouvait venir surprendre soudain ceux qui se croyaient en sûreté. Car, je suis persuadé, qu'on s'égare non-seulement quand on suit une voie fausse, mais aussi quand on ne suit pas la véritable. Supposons donc deux voyageurs qui vont au même endroit : L'un a résolu de ne croire personne et. l'autre est crédule jusqu'à l'excès. Les voilà arrivés à un chemin qui se bifurque. Le crédule alors s'adresse à un berger qu'il voilà ou tout autre paysan et lui dit : Bonjour, brave homme, indique-moi, je te prie, le chemin pour aller à tel endroit. On lui répond Si tu prends celui-là, tu ne t'égareras point. Se tournant alors vers son compagnon, il a raison, dit le crédule, prenons par là. — L'Homme prudent se met à rire, et le raille d'ajouter foi si aisément à ce qu'on lui dit, et pendant que l'autre poursuit sa route il s'arrête devant ces deux chemins. Déjà il commençait à lui paraître ridicule de ne plus avancer, lorsque par l'autre sentier, il voit un cavalier bien monté et bien habillé arrivant de la ville. Notre homme s'en félicite, et, dès qu'il l'a approché, il le salue et lui demande le chemin. Afin de se faire bien venir, il lui dit pourquoi il est ainsi arrêté et par là lui montre qu'il le préfère au berger. Le hasard a voulu que ce cavalier fût un de ces charlatans qu'on nomme bateleurs, plein de malice, qui joua, même sans profit pour lui, un tour de sa façon. Va par-là, dit-il donc, car c'est de là que je viens. Après cette indication trompeuse, il s'en alla.
Mais quel moyen de tromper un si grand philosophe? — Je n'accepte pas, dit-il, cette indication comme vraie mais comme vraisemblable : et parce que je ne vois ni utilité, ni convenance à rester plus longtemps cri cet endroit, je suis cette route. Pendant ce temps-là, celui qui s'est trompé en donnant trop tôt son assentiment au dire du berger, se reposait déjà au lieu même où allaient les deux voyageurs; l'autre au contraire, ne se trompant pas parce qu'il suivait le probable, va et vient à travers je ne sais quelles forêts, et ne trouve même plus personne qui connaisse le lieu qu'il cherche.
A vous dire vrai, je n'ai pu m'empêcher de rire en rappelant cette comparaison. Je voyais, en effet, que, parles discours des académiciens, il se faisait, je ne sais comment, que celui qui se trouvait, par hasard dans le bon chemin, était néanmoins dans l'erreur et que celui-là n'y paraissait pas être, que la probabilité avait conduit par des montagnes escarpées sans qu'il trouvât le lieu où il allait. Mais enfin, pour condamner la créance téméraire du premier, j'aime mieux dire qu'ils sont tous deux dans l'erreur que de dire que le dernier n'y soit point. Depuis ce temps, pour mieux combattre tant de discussions extravagantes, j'ai commencé à étudier les actions mêmes et les moeurs des hommes. Alors il m'est venu à l'esprit un si grand nombre de raisons décisives contre ces philosophes, que, bien loin de rire, je m'indignais et m'affligeais de voir que des gens si doctes, si pénétrants, fussent tombés en d'aussi coupables et aussi malfaisantes absurdités.
Edition
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Contra Academicos (PL)
34.
Nam cum otiosus diu cogitassem in isto rure, quonam modo possit isthuc probabile ac veri simile actus nostros ab errore defendere; primo visum est mihi, ut solet videri cum ista vendebam, belle tectum et munitum. Deinde ubi totum cautius circumspexi, visus sum mihi vidisse unum aditum, qua in securos error irrueret. Non enim solum puto eum errare, qui falsam viam sequitur; sed etiam eum qui veram non sequitur. Faciamus enim duos viatores ad unum locum tendentes, quorum alter instituerit nulli credere, alter nimis credulus sit. Ventum est ad aliquod bivium: hic [Col. 0952] ille credulus pastori qui aderat, vel cuipiam rusticano: Salve, frugi homo; dic quaeso, qua bene in illum locum pergatur. Respondetur: Si hac ibis, nihil errabis. Et ille ad comitem: Verum dicit, hac eamus. Ridet vir cautissimus, et tam cito assensum facetissime illudit, atque interea illo discedente in bivio figitur: et jam incipit videri turpe cessare, cum ecce ex alio viae cornu lautus quidam et urbanus equo insidens eminet, et propinquare occipit: gratulatur iste. Tum advenienti, et salutato indicat propositum, quaerit viam; dicit etiam remansionis suae causam, quo benevolentiorem reddat, pastori eum praeferens. Ille autem casu planus erat de iis quos Samardacos jam vulgus vocat. Tenuit suum morem homo pessimus etiam gratis. Hac perge, ait: nam ego inde venio. Decepit, atque abiit. Sed quando iste deciperetur? Non enim monstrationem istam tanquam veram, inquit, approbo; sed quia est veri similis. Et hic otiosum esse nec honestum, nec utile est; hac eam. Interea ille qui assentiendo erravit, tam cito existimans vera esse verba pastoris, in loco illo quo tendebant, jam se reficiebat: iste autem non errans, siquidem probabile sequitur, circumit silvas nescio quas, nec jam cui locus ille notus sit, ad quem venire proposuerat, invenit. Vere vobis dicam, cum ista cogitarem, risum tenere non potui, fieri per Academicorum verba nescio quomodo, ut erret ille qui veram viam vel casu tenet; ille autem qui per avios montes probabiliter ductus est, nec petitam regionem invenit, non videatur errare. Ut enim temerariam consensionem jure condemnem, facilius ambo errant, quam iste non errat. Hinc jam adversum ista verba vigilantior, ipsa facta hominum et mores considerare coepi. Tum vero tam multa mihi et tam capitalia in istos venerunt in mentem, ut jam non riderem, sed partim stomacharer, partim dolerem homines doctissimos et acutissimos in tanta scelera sententiarum et flagitia devolutos.