26.
Si nous comprenons sagement l'endroit du livre des Proverbes où on lit que « le monde avec toutes ses richesses appartient à l'homme fidèle et que pas une obole n'est due à l'infidèle 1, » ne prouverons-nous pas que tous ceux qui mènent joyeuse vie avec des biens légitimement acquis et qui ne savent pas en faire usage, possèdent le bien d'autrui? Car ce qu'on a le droit de posséder n'appartient pas certainement à autrui; or on possède par le droit ce qu'on possède avec justice, et avec justice ce qu'on possède bien. Donc tout ce qu'on possède mal est à autrui, et celui-là possède mal qui use mal. Vous voyez ainsi que de gens devraient rendre le bien d'autrui, puisqu'il en est peu à qui on puisse faire restitution; mais n'importe ou ceux-ci se rencontrent, ils méprisent d'autant plus ces richesses qu'ils pourraient les posséder avec plus de justice. Car personne ne possède mal la justice, et celui qui ne l'aime pas ne l'a pas. Quant à l'argent, les méchants ont une mauvaise manière de le, posséder; les bons le possèdent d'autant mieux qu'ils l'aiment moins. Mais on tolère l'iniquité de mauvais possesseurs des biens humains, et parmi eux on a établi des droits qu'on appelle civils; ils ne font pas à cause de cela un meilleur usage de ce qu'ils ont, mais ce mauvais usage devient moins dédommageable pour autrui. Les choses vont ainsi jusqu'à ce que les fidèles et les pieux auxquels tout appartient de droit, et dont les uns se sont sanctifiés dans les rangs des mauvais riches, et les autres, en vivant quelque temps au milieu d'eux, ont été éprouvés mais non souillés par leurs injustices, arrivent à cette cité où les attend l'héritage de l'éternité : c'est là qu'il n'y a de place que pour le juste, de rang élevé que pour le sage; c'est là qu'on ne possédera que ce qui est véritablement à soi. Cependant, même ici, nous n'intercédons pas pour que les biens d'autrui ne soient point restitués d'après les moeurs et les lois de la terre; lorsque nous demandons que vous vous adoucissiez envers les méchants, ce n'est pas pour qu'on les aime et pour qu'ils demeurent ce qu'ils sont, c'est parce que tous ceux qui sont bons le deviennent en cessant d'être méchants et qu'on apaise Dieu par un sacrifice de miséricorde : si Dieu n'était pas indulgent à ceux qui sont mauvais, il n'y aurait personne de bon.
Voilà une trop longue lettre qui vous fait perdre votre temps, quand peu de mots auraient suffi à un homme aussi pénétrant et aussi instruit que vous. Il y a. longtemps que j'aurais fini si j'avais cru que vous seul dussiez lire ma réponse. Vivez heureux dans le Christ, mon très-cher fils.
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Livre des Proverbes, XVII, version des Septante. ↩