XX. (Ib. VII, 7.)
Sur le péché et le délit. —
1. Pourquoi l'Écriture, après avoir parlé du sacrifice d'un bélier pour le délit, et avoir expliqué les cérémonies de ce sacrifice, ajoute-t-elle
« Comme on fait pour le péché, ainsi fera-t-on pour le délit : il n'y a qu'une loi pour les deux? » On demande quelle est la différence entre le péché et le délit ; car s'il n'en existait aucune, certainement le texte sacré ne porterait pas : « Comme on fait pour le péché, ainsi fera-t-on pour le délit. » En effet, quoique la loi et le sacrifice qu'elle règle ne diffèrent point, puisqu'il n'y a qu'une loi pour les deux; cependant, s'il n'existait aucune différence entre ces deux choses, le délit et le péché, pour lesquels s'offre un seul et même sacrifice; si ces deux noms ne désignaient qu'une même chose, l'Écriture ne prendrait pas un soin si exact de faire voir qu'il n'y a qu'un seul sacrifice pour l'un et l'autre.
2. Par le péché, il faut donc peut-être entendre la perpétration du mal, et par le délit, l'abandon du bien : ainsi, de même que dans une vie digne d'éloge, autre chose est l'éloignement du mal, autre chose la pratique du bien, comme l'Écriture nous en avertit dans ces paroles : « Éloigne-toi du mal et fais le bien 1; » de même, dans une vie condamnable, autre chose serait l'éloignement du bien, autre chose la pratique du mal; l'une constituerait le délit et l'autre le péché. A s'en tenir au terme en lui-même, que signifie en effet delictum, délit, si ce n'est derelictum, abandon ? et qu'est-ce qu'abandonne l'homme coupable d'un délit, si ce n'est le bien ? Les Grecs, eux aussi, ont deux mots pour désigner ce mal déplorable. Chez eux, paraptroma et plemmeleia signifient également délit. Dans ce passage du Lévitique on trouve plemmeleia. Et quand l'Apôtre dit : « Si quelqu'un est tombé par surprise dans quelque délit 2, » le texte grec porte paraptomati : si l'on veut se rendre compte de l'origine de ces mots, à propos de paraptomati, on comprendra que celui qui commet nu délit tombe en quelque sorte. Ainsi le substantif cadaver, cadavre, que les Latins font venir de cadere, tomber, se rend en grec par ptoma, qui vient de piptein (apo tou piptein), dont la signification est celle de cadere. Donc, celui qui fait le mal en péchant, y prélude par une chute qui consiste dans l'abandon du bien. Plemmeleia présente à son tour le sens analogique de négligence : car négligence se rend en grec par ameleia, par la raison que ce qu'on néglige n'est l'objet d'aucun soin. En grec, je n'ai pas de soin, se traduit en effet par ou melei moi. Or, la particule plem, qu'on ajoute pour faire plemmeleia signifie hors de; ameleia, qui veut dire négligence, paraît donc être synonyme de sine cura, sans soin, et plemmeleia, de praeter curam, hors de soin : ce qui est à peu près la même chose. C'est pour cette raison que plusieurs ont préféré negligentiam à delictum, pour la traduction du mot plemmeleian. Et en latin que signifie negligitur, sinon non legitur, autrement non eligitur, ne pas choisir? Aussi les auteurs latins donnent-ils pour étymologie au mot loi le mot legere, ou eligere, choisir. De ces notions élémentaires il résulte qu'on se rend coupable d'un délit en s'éloignant du bien, et qu'en s'éloignant du bien on tombe parce qu'on ne fait pas un choix. Mais d'ou vient peccatum, qui se rend en grec par amartia ? Je n'en vois l'origine ni dans l'une ni dans l'autre langue.
3. On peut aussi considérer le délit comme une faute commise imprudemment, c'est-à-dire, par ignorance, et le péché comme une faute commise sciemment. Cette différence parait admise dans ce passage des divines Écritures : « Qui est capable de connaître les délits 3? » et dans cet autre : « Vous savez mon imprudence 4 : » car le psalmiste ajoute aussitôt : « Et mes délits ne vous sont pas cachés, » sorte de répétition de la même pensée sous une autre forme. Le mot de l'Apôtre, que je viens de citer : « Si quelqu'un est tombé par surprise dans quelque délit 5, » ne s'écarte pas non plus de cette manière de voir: car cette chute inattendue provient de l'imprudence. Quant au péché, l'Apôtre saint Jacques dit, comme dans une sorte de définition, qu'il consiste dans la science de ce que l'on fait; telles sont, en effet, ces paroles : « Celui-là est coupable de péché, qui, sachant le bien qu'il doit faire, ne le fait pas 6. » Mais quelle que soit la différence entre le péché et le délit; que ce soit celle-ci ou celle-là, ou toute autre, il est certain que s'il n'en existait aucune, l'hcriturc ne tiendrait pas ce langage : « Comme on « fait pour le péché, ainsi fera-t-on pour le. dé« lit : il n'y aura qu'une loi pour les deux. »
4. Néanmoins d'ordinaire le mot péché désigne aussi le délit, et le mot délit, le péché; par exemple, quand on dit que la rémission des péchés se fait dans le baptême, cela ne veut pas dire que les délits sont exceptés du pardon : on ne désigne pas ces deux espèces de fautes, parce qu'un seul mot les comprend toutes les deux. C'est ainsi que le Seigneur déclare que « son sang est répandu pour plusieurs, pour la rémission des péchés 7. » S'il ne parle pas des délits, quelqu'un osera-t-il conclure de là que le sang du Fils de Dieu n'est pas la source du pardon des délits? De même quand l'Apôtre écrit : « Nous avons été condamnés par le jugement de Dieu pour une seule faute; mais la grâce nous a justifiés de plusieurs délits 8, » sous cette dernière expression, ne comprend-il pas en même temps les péchés ?
5. Même dans ce livre du Lévitique, qui-nous oblige à découvrir ou admettre une différence entre le délit et le péché, voici les paroles du passage qui contient les ordres de Dieu relatifs aux sacrifices pour les péchés : « Si toute l'assemblée des enfant d'Israël a été dans l'ignorance, et « qu'une parole ait échappé à ses yeux, et qu'elle « ait fait contre les commandements de Dieu « une chose qu'elle ne devait. pas faire, et qu'ils « aient commis un délit, et qu'ensuite ils con« naissent le péché qu'ils ont commis en cela 9. » Ainsi, après avoir parlé de délit, le texte parle immédiatement après de péché, désignant ainsi évidemment la même faute par deux noms différents. « Si un prince pèche, est-il dit un peu plus loin, et fait, sans le vouloir, quelqu'une des choses défendues par tous les commandements du Seigneur son Dieu, et qu'il se rende coupable de délit 10. » Nous lisons en suivant : « Si quelqu'un du peuple pèche, sans le vouloir, en faisant ce qui n'est pas permis contre un commandement du Seigneur, quel qu'il soit, et commet un délit, et qu'ensuite son péché lui soit connu 11. » Voici encore ce qu'on lit : « Quiconque, par une parole précise, aura fait serment de mal faire, ou de bien faire selon tout ce qui aura été précisé dans le serment, s'il l'ignore, et qu'il le reconnaisse ensuite, et pèche en l'un de ces points, puis fasse contre lui l'aveu du péché dont il s'est rendu coupable; il offrira pour son délit envers le Seigneur, pour le péché dont il s'est rendu coupable 12. » Et un peu après: « Le Seigneur parla encore à Moïse en ces termes : Si quelqu'un ignore par oubli, et pèche sans le vouloir contre les choses saintes du Seigneur, il offrira au Seigneur pour son délit un bélier sans tache pris d'entre les brebis, au prix de l'argent des sicles du sanctuaire, en expiation de son délit; et pour le péché qu'il a commis contre les choses saintes , il restituera et il ajoutera une cinquième partie en plus, et il donnera cela au prêtre; et le prêtre priera pour lui en offrant le bélier pour le délit, et il obtiendra son pardon 13. »L'Écriture ajoute encore : « Quiconque aura péché, et fait une des choses contraires aux préceptes du Seigneur, et ne l'ayant pas connu, se sera rendu coupable d'un délit, et aura fait un péché; apportera au prêtre pour son délit un bélier pris d'entre les brebis à prix d'argent; et le prêtre priera pour lui, pour l'ignorance dans laquelle il est tombé sans le savoir et elle lui sera pardonnée. « Car il s'est rendu coupable d'un délit devant le Seigneur 14. » Et plus loin : « Le Seigneur parla encore à Moïse en ces termes: L'homme qui aura péché, et méprisant les préceptes du Seigneur, aura menti à l'égard de son prochain pour un dépôt, ou pour une convention, ou pour une chose dérobée; ou qui aura commis quelque injustice à l'égard de son prochain; ou qui, ayant trouvé une chose perdue, le niera, et de plus aura fait un faux serment sur une chose qu'un homme est capable de faire : coupable de ces péchés et de ces délits, il restituera l'objet qu'il a dérobé, ou le tort qu'il a fait, ou le dépôt qui lui a été confié, ou la chose perdue qu'il a trouvée, en expiation de ses faux serments; il restituera la chose elle-même et donnera de plus une cinquième partie à celui qui en étai possesseur; au jour où il aura été convaincu de son délit, il offrira au Seigneur un bélier sans tache pris d'entre les brebis, d'un prix, pour son délit; et le prêtre priera pour lui devant le Seigneur, et il recevra le pardon de ce en quoi il s'est rendu coupable 15. » Presque toutes les fautes mentionnées dans ce chapitre prennent donc tour à tour la qualification de délit et de péché. Ainsi, d'après un grand nombre de passages des Écritures, ces deux termes s'emploient indifféremment l'un pour l'autre; et pourtant, l'Écriture atteste qu'il y a quelque différence entre eux, quand elle dit : « On fera pour le délit comme on a fait pour le péché. »