7.
« Vous haïssez les artisans d’iniquité ». Cette haine de Dieu a le même sens que l’aversion de tout pécheur pour la vérité; et l’on dirait que celle-ci à son tour déteste ceux qu’elle ne laisse point demeurer en elle; tandis que s’ils n’y demeurent point, c’est qu’ils ne la peuvent supporter. « Vous perdrez ceux qui profèrent le mensonge », car il est contraire à la vérité. Mais qu’on ne s’imagine point qu’il y ait quelque substance ou quelque nature contraire à la vérité; comprenons plutôt que le mensonge tient à ce qui n’est pas, et non à ce qui est. Dire ce qui est, c’est dire la vérité, et dire ce qui n’est pas, c’est le mensonge. Aussi est-il dit: « Vous perdrez tous ceux qui profèrent le mensonge », puisqu’en se détournant de ce qui subsiste, ils s’en vont à ce qui n’est pas. Souvent le mensonge paraît avoir pour but le salut ou l’avantage d’un autre, et provenir non de la malice, mais de la bienveillance; tel fut, dans l’Exode (Exod. I, 19 ), celui de ces sages-femmes, qui mentirent à Pharaon pour sauver la vie aux enfants des Hébreux. Mais ce qui est louable ici, c’est moins l’acte que l’intention; et ceux qui ne mentent plus que de la sorte, mériteront un jour d’être délivrés de tout mensonge. C’est à eux qu’il est dit : « Que votre discours soit : Oui, oui non, non; car ce qui est de plus, vient du mal (Matt. V, 37 ) ». Ce n’est pas sans raison qu’il est écrit ailleurs : « La bouche qui ment, tue l’âme (Sag. I, 11 ) », afin que nul homme vraiment spirituel ne se croie autorisé à mentir, pour conserver soit à lui-même, soit à d’autres cette vie temporelle, dont la perte ne tue pas notre âme. Toutefois, il y a une différence entre mentir, et cacher la vérité, puisque l’un consiste à dire le faux, l’autre à taire le vrai; si nous ne voulons pas découvrir un homme à qui l’on veut donner cette mort visible du corps, nous devons avoir l’intention de taire le vrai, mais non de dire le faux, afin de ne rien découvrir, et ne point tuer notre âme par le mensonge, en voulant conserver à un autre la vie du corps. Si nous ne sommes point encore dans ces dispositions, efforçons-nous au moins de ne pas mentir au-delà de ces occasions pressantes, afin que Dieu nous délivre même de ces mensonges légers, et nous donne la force du Saint-Esprit qui nous fera mépriser tout ce que nous aurions à souffrir pour la vérité. Il n’y a que deux sortes de mensonges qui ne soient point de fautes graves, mais qui ne sont point exemptes de tout péché, c’est le mensonge par plaisanterie, et le mensonge pour rendre service. Le mensonge joyeux, n’étant point de nature à tromper, n’est point dangereux. Celui à qui nous parlons comprend bien que c’est un badinage. Le second est encore plus léger, puisqu’il renferme une certaine bonté. Mais ce qui se dit sans duplicité de coeur, ne mérite pas le nom de mensonge. Qu’un homme, par exemple, ait reçu en gage une épée de son ami, avec promesse de la lui rendre quand il la redemandera ; il est évident qu’il ne doit point la rendre à cet ami qui la redemande avec démence, et qui peut s’en servir contre lui-même ou contre les autres; il faut attendre le calme de la raison. Il n’y a point ici duplicité de coeur, puisqu’en recevant cette épée en gage et en promettant de la rendre, cet ami était loin de croire qu’on la réclamerait dans la démence. Le Seigneur lui-même a jugé bon de taire la vérité, quand il disait aux disciples peu aptes à la recevoir: « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire; mais vous ne pouvez les porter encore (Jean, XVI, 12 ) » ; saint Paul a dit aussi : « Je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels (I Cor. III, 1 ) ». D’où il suit qu’il ne faut pas accuser celui qui se tait sur la vérité. Mais on ne voit point qu’il soit permis aux parfaits de dire ce qui est faux.