CHAPITRE XIX. L'EXTENSION LOCALE INCOMPATIBLE AVEC L'IDÉE DE DIEU.
21. Notre âme est donc soumise à des changements perpétuels. L'incessante variété des désirs; la fluctuation perpétuelle des sentiments qui naissent de l'abondance ou de la pauvreté; le mirage continuel des objets extérieurs dans l'imagination; l'oubli et le souvenir; la science et l'ignorance; tout cela jette notre âme dans d'incessantes agitations; et cependant, malgré ce mouvement perpétuel, vous sentez qu'on ne peut lui attribuer aucune diffusion, aucune étendue locale: si elle domine les espaces, c'est par sa puissance et sa vivacité. Que dirons-nous donc, que penserons-nous de Dieu qui domine, de son infinie grandeur, toutes les intelligences et accorde à chacune ce qui lui convient ? Quand il s'agit de Dieu, l'âme ose plus facilement en parler que le voir, et elle en parle d'autant moins qu'elle se sent plus capable de le voir. Supposez donc, avec les Manichéens et leurs rêves insensés, que Dieu habite réellement l'espace et qu'il y occupe des lieux déterminés, quelle qu'en soit du reste l'immense étendue; calculez par la pensée, en combien de parcelles, en combien de morceaux, les uns plus grands, les autres plus petits, vous pourriez le partager; tracez-vous en lui, par exemple, une partie longue de deux pieds, à cette portion il manquera huit parties pour égaler celle de dix pieds. C'est ridicule, direz-vous, j'y consens, et cependant il faut avouer que toute nature qui occupe un lieu déterminé dans l'espace est soumise à cette dure nécessité de la divisibilité, puisqu'elle ne peut être tout entière dans chaque partie de l'espace. Or, cette divisibilité ne peut s'appliquer à l'âme, et prétendre qu'on ne peut la concevoir que comme occupant un lieu dans l'espace, c'est n'avoir de cette plus belle partie de nous-mêmes que des idées basses et honteuses.