CHAPITRE XIV. ERREURS DES MANICHÉENS SUR HYLÉ OU LA MATIÈRE.
Mais pourquoi ne réclamez-vous pas aussi une communauté de culte avec les païens, à cause de cette Hylé, si souvent mentionnée dans quelques-uns de leurs livres? Loin de là vous prétendez au contraire que cette Hylé est bien inférieure à la vôtre et bien différente d'elle, puisque c'est le nom que votre théologien donne au principe et à la nature du mal. En quoi vous faites preuve d'une extrême ignorance : car vous ne savez pas même ce que c'est que Hylé, et affectant un air de science, vous prononcez pompeusement ce mot dont vous ne connaissez pas la signification. Quand les Grecs parlent de la nature, ils donnent le nom de Hylé à une certaine matière des choses, qui n'a absolument aucune forme, mais qui est susceptible de recevoir toutes les formes du corps. Elle se reconnaît à la propriété de changer quant aux mêmes corps; car par elle,-même elle ne peut être ni sentie ni comprise. Mais quelques païens se trompent en la faisant coéternelle et en l'unissant à Dieu, de telle sorte qu'elle ne viendrait pas de Dieu, bien qu'elle en recevrait sa formé : opinion dont la Vérité elle-même nous enseigne la fausseté. Et voilà que vous vous trouvez d'accord avec ces païens sur cette Hylé, puisque vous prétendez aussi qu'elle a son principe en elle et qu'elle ne vient pas de Dieu. Pourtant vous affirmiez que vous vous sépariez d'eux sur ce point, mais vous ne saviez pas ce que vous disiez. En tant qu'ils prétendent que cette Hylé n'a pas de forme propre et qu'elle n'en peut recevoir que de Dieu, ils sont dans le vrai et d'accord avec nous, mais en opposition avec votre erreur : car ne sachant ce que c'est que Hylé, c'est-à-dire la matière des corps, vous l'appelez peuple des ténèbres, et vous y placez non-seulement des formes corporelles sans Nombre et divisées en cinq espèces, mais encore l'esprit qui donne ces formes aux corps; et pour comble d'ignorance ou plutôt de démence, vous appelez Hylé ce même esprit qui, selon vous, donne les formes sales en recevoir lui-même. Mais s'il y avait là un esprit formateur et des éléments matériels à former, il faudrait appeler ces éléments Hylé, c'est-à-dire matière apte à être formée par ce même esprit dont vous faites le principe du mal. Si vous disiez cela, vous ne seriez pas loin de la vérité au sujet de cette Hylé, sauf que les éléments eux-mêmes, quoique destinés à recevoir d'autres formes, par le fait qu'ils seraient éléments et déjà distingués en espèces particulières, ne seraient plus proprement Hylé, puisque Hylé est absolument informe. Néanmoins votre ignorance serait tolérable, puisque vous appelleriez Hylé ce qui reçoit la forme, et non ce qui la donne. Et encore seriez-vous regardés comme absurdes et sacrilèges, parce que, ne sachant pas que toute mesure dans les natures, tout nombre dans les formes, toute quantité dans les poids ne peuvent venir que du Père et du Fils et du Saint-Esprit, vous attribueriez un aussi grand bien au principe du mal. Mais maintenant que vous ne savez pas même ce que c'est que Hylé, pas même ce que c'est que le mal, oh ! que ne puis-je vous décider à vous contenir et à ne plus tromper les ignorants !