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Œuvres Augustin d'Hippone (354-430) Contra Faustum Manichaeum Contre Fauste, le manichéen
LIVRE VINGT-DEUXIÈME. LE DIEU DE L’ÉCRITURE.

CHAPITRE XXII. LE DIEU DES CATHOLIQUES, QUOIQUE DÉFORMÉ PAR LES MANICHÉENS, VAUDRAIT MIEUX QUE LE LEUR. DÉMONSTRATION D'APRÈS LA DOCTRINE MÉME DES SECTAIRES.

Mais supposez un homme tout à fait charnel et tellement insensé qu'il adore Dieu, non pastel que nous l'adorons, seul et vrai Dieu, mais tel que vous prétendez que nous l'adorons, déformé par vos calomnies et vos faux jugements : n'adorerait-il pas encore un Dieu préférable au vôtre ? Faites attention, je vous prie, et ouvrez des yeux quelconques : car il ne faut pas un génie bien perçant pour comprendre ce que je vais dire; je fais appel à tous, aux savants et aux ignorants : écoutez, faites attention, jugez. Combien il vaudrait mieux que votre dieu eût habité éternellement les ténèbres, plutôt que de plonger dans les ténèbres la lumière, sa soeur, éternelle comme lui ? Combien il serait préférable qu'il eût admiré et loué la lumière, toute nouvelle pour lui, et apparaissant pour dissiper ses ténèbres, plutôt que de ne pouvoir éviter l'invasion des anciennes ténèbres autrement qu'en changeant en ténèbres sa propre lumière! Malheureux, s'il a fait cela parce qu'il était troublé; cruel, s'il l'a fait quoiqu'il n'eût rien à craindre. Il lui serait certainement meilleur de voir la lumière qu'il aurait faite et de l'admirer comme bonne, que de la rendre mauvaise après l'avoir engendrée, et de la voir repousser de lui les ténèbres ennemies, de manière à devenir son ennemie elle-même. Car on fera un crime aux restes qui doivent être condamnés sur le globe, de s'être laissé entraîner loin de leur première nature lumineuse et d'être devenus ennemis de la saine lumière: vivant de toute éternité dans les éternelles ténèbres de l'ignorance, s'ils ne prévoyaient pas ce qui devait leur arriver; ou dans les ténèbres éternelles de la crainte, s'ils le prévoyaient. Voilà donc qu'une partie de la substance de votre dieu a été éternellement enveloppée dans ses propres ténèbres; et plus tard, au lieu d'admirer la lumière nouvelle, elle a subi des ténèbres étrangères qu'elle avait toujours redoutées. Or, si le dieu dont elle faisait partie, craignait pour elle un si grand mal à venir, il était donc aussi envahi par les ténèbres de la crainte; s'il ne le prévoyait pas, il était aveuglé par les ténèbres de l'ignorance; s'il le prévoyait, et ne le craignait pas, il était dans les ténèbres de la cruauté, pires que celles de l'ignorance ou de la crainte ; car votre Dieu n'éprouvait pas dans sa chair ce que l'Apôtre y loue : « Si un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui[^1] », puisque vous prétendez dans votre extrême folie que la chair a été créée par Hylé, et non par Dieu. Cependant, nous ne l'accusons pas : il prévoyait, il craignait, il souffrait, mais il n'y pouvait rien. Il a donc vécu de toute éternité dans les ténèbres de sa misère; et plus tard il n'a point admiré une lumière nouvelle qui vînt dissiper ses ténèbres; mais, au grand détriment de sa propre lumière, il a été envahi par d'autres ténèbres qu'il avait toujours redoutées. Combien il lui serait préférable, je ne dirai pas de commander comme Dieu, mais de recevoir un commandement comme l'homme, sauf à se trouver bien de l'observer, à se trouver mal de l'enfreindre, mais dans les deux cas agissant avec une pleine liberté de volonté au lieu d'être poussé contré sa volonté, par une nécessité invincible, à obscurcir sa propre lumière ! Il vaudrait encore beaucoup mieux pour lui donner un commandement à la nature humaine, tout en prévoyant qu'elle le violera, que de, forcer irrésistiblement sa nature divine à pécher. Ouvrez les yeux, et dites-nous comment celui qui est sous l'empire de la nécessité pourra vaincre les ténèbres. La nécessité était son plus grand ennemi et il la portait dans son sein ; c'est elle qui l'a vaincu et forcé à combattre avec un ennemi moindre. Combien il vaudrait mieux pour lui ne pas savoir où Adam agirait fui devant sa face, que de n'avoir lui-même aucune retraité où échapper, d'abord à la dure et cruelle nécessité, et ensuite à une race indifférente et ennemie ! Combien il lui serait meilleur de refuser par,envie le bonheur à la nature humaine, que de livrer la nature divine au malheur; d'être avide du sang et de la graisse des victimes, que d'être lui-même tant de fois sacrifié aux idoles, mêlé à la graisse et au sang de toutes les victimes; d'être troublé par la jalousie en voyant sacrifier à d'autres dieux, que d'être lui-même offert à tous les démons, sur tous les autels, enchaîné non-seulement dans les fruits, mais même dans toute chair d'animal ! Combien il vaudrait mieux pour lui éprouver l'agitation, le trouble d'une colère, même humaine, contre les péchés des siens ou des étrangers, que d'être troublé, non-seulement dans tous ceux qui se fâchent, mais dans tous ceux qui craignent, d'être souillé dans tous ceux qui pèchent, d'être puni dans tous ceux qui sont condamnés; enchaîné partout parla partie de lui-même qu'il a livrée, quoique innocente, à un tel déshonneur, dans le but de vaincre par elle ce qu'il redoutait; assujetti en personne à une si déplorable nécessité, afin que la partie condamnée pût lui pardonner, quand il sera humble comme il est malheureux ! Mais maintenant, est-il supportable de vous entendre blâmer Dieu, parce qu'il s'irrite contre les péchés des siens ou des étrangers, quand le dieu que vous imaginez condamne lui-même, sur ce globe, ceux de ses membres qu'il a forcés malgré lui à se précipiter dans l'abîme du péché? Vous dites, il est vrai, qu'il fait cela sans colère. Mais je m'étonne qu'il puisse être fier d'exercer une sorte de vengeance envers des êtres à qui il devait demander grâce et dire : — Je vous en prie, pardonnez-moi : vous êtes mes membres ; comment aurais-je pu vous traiter ainsi, si je n'y avais été forcé? Vous savez vous-mêmes que quand je vous ai envoyés là, un ennemi terrible nous avait attaqués, et si je vous y enchaîne maintenant, c'est que je crains une nouvelle irruption de sa part. — Vous en conviendrez : il vaudrait beaucoup mieux donner la mort temporelle à des milliers d'hommes pour une faute nulle ou légère, que de précipiter dans le gouffre du péché et de condamner à un supplice perpétuel ses propres membres, c'est-à-dire les membres de Dieu, la substance de Dieu, par conséquent Dieu lui-même. Ces membres avaient-ils la liberté de pécher ou de ne pas pécher? On ne voit pas trop comment on pourrait le dire de la substance de Dieu, de la vraie substance divine qui est absolument immuable. Car Dieu ne peut absolument pas pécher, pas plus qu'il ne peut se nier lui-même[^2]; mais l'homme peut pécher et nier Dieu, et pourtant il ne le fait pas, s'il ne le veut pas. Si donc, comme je l'ai dit, ces membres de votre dieu avaient, comme l'âme humaine et raisonnable, la faculté de pécher ou de ne pas pécher, peut-être, coupables de fautes graves, auraient-ils été justement condamnés à souffrir sur ce globe. Or, vous ne pouvez pas dire que ces faibles parties de votre dieu n'aient eu une volonté libre que le dieu n'avait pas dans son entier, puisque s'il ne les eût livrées au péché, envahi lui-même tout entier par le peuple des ténèbres, il eût été forcé de pécher. Que si elles ne pouvaient pas être contraintes, ils péché en les envoyant là où elles pouvaient l'être; par conséquent, en faisant cela par un acte de libre autorité, il a mérité cette sorte de supplice du sac réservé aux parricides, plutôt que les parties elles-mêmes qui sont allées, par obéissance, là où elles ont perdu la liberté de bien vivre. Mais si, envahi et possédé par l'ennemi, il pouvait être forcé à pécher, à moins de pourvoir à son salut en condamnant une partie de lui-même, d'abord au crime, ensuite au supplice; si, par conséquent, ni votre dieu, ni ses parties n'avaient le libre arbitre, alors qu'il ne s'imagine pas être juge, mais qu'il se reconnaisse coupable, non précisément pour avoir subi ce qu'il ne voulait pas, mais pour avoir feint les apparences de la justice, en condamnant ceux qu'il savait avoir subi, plutôt que commis, le mal : feint qui n'a pas d'autre but que de dissimuler! sa défaite : comme s'il y avait profit pour un malheureux à être appelé heureux ou fortuné. Assurément, il eût encore mieux valu pour votre dieu mettre de côté toute justice et n'épargner ni justes ni pécheurs (dernier reproche que Fauste, dans son in. intelligence, adresse à notre Dieu), que de sévir ainsi contre ses propres membres, qu'il ne se contente pas de livrer à l'ennemi pour être empoisonnés sans remède, mais qu'il accuse encore faussement d'iniquité ; car il prétend qu'ils ont bien mérité cet horrible et éternel supplice pour s'être laissé entraîner loin de leur première nature lumineuse et être devenus ennemis de la sainte lumière. Et pourquoi cela, sinon, comme il le dit lui-même, parce qu'ils étaient si bien incorporés à la première avidité des princes des ténèbres, qu'ils n'ont pas pu se rappeler leur origine ni se distinguer de la nature ennemie? Donc ces âmes n'ont point fait de mal, ruais ont été condamnées innocemment à un si grand supplice. Et par qui, sinon par celui qui leur a donné primitivement l'ordre de se séparer de lui pour aller subir une si terrible peine? Leur père a donc été pour elles pire que leur ennemi. En effet, c'est leur père qui les a livrées au malheur, tandis que leur ennemi, en les convoitant, ne faisait que convoiter un bien, et désirait jouir d'elles et non leur faire du mal. L'un leur a nui sciemment, et l'autre sans le savoir. Mais ce pauvre dieu, faible et sans ressources, n'avait pas d'autre moyen de se protéger contre un ennemi, d'abord violent à l'attaque et ensuite enfermé. Mais qu'au moins il n'accuse pas ces âmes dont l'obéissance a fait son salut, dont la mort fait sa sécurité. S'il a été forcé de combattre, l'est-il aussi de calomnier? Quand elles se laissaient entraîner loin de leur première nature lumineuse et devenaient ennemies de la sainte lumière, elles y étaient évidemment forcées par l'ennemi ; si elles n'ont pu résister à cet ennemi, elles sont condamnées innocemment; si elles l'ont pu et ne l'ont pas voulu, que deviennent toutes vos fables sur la nature du mal, puisque le péché provient de la volonté propre ? Car, évidemment, c'est de plein gré et non par l'effet d'une violence extérieure, qu'elles ont péché, puisque, pouvant résister au mal, elles ne l'ont pas voulu. En résistant, elles auraient bien fait; en ne résistant pas, elles ont commis un crime énorme, monstrueux ; si elles l'ont pu et ne l'ont pas fait, c'est évidemment qu'elles ne l'ont pas voulu. Donc, si elles ne l'ont pas voulu, il faut s'en prendre à leur volonté et non à la nécessité. Donc, la volonté est le principe du péché; or, le principe du péché est le principe du mal, c'est-à-dire la transgression du commandement juste et de la punition infligée par un juste jugement. Par conséquent, rien ne vous oblige, dans la question de l'origine du mal, de vous précipiter dans cette pernicieuse erreur d'appeler nature du mal une nature qui possède abondamment tant de biens, et d'introduire l'horrible mal de la nécessité dans la nature du souverain bien avant l'immixtion de la nature du mal. Et le principe de cette erreur, c'est votre orgueil, que vous n'auriez pas, si vous ne le vouliez pas; mais pour vouloir la soutenir d'une façon quelconque, parce que vous vous y êtes précipités, vous enlevez au libre arbitre l'origine du mal, et vous la rattachez à une fable vaine et fausse. Par là même, il vous est force de dire que ces âmes condamnées à être éternellement enchaînées à ce globe affreux, sont devenues ennemies de la saine lumière, non volontairement, mais par nécessité; de reconnaître pour votre juge un dieu près duquel vous ne pouvez rien pour les victimes dont vous défendez la cause, en démontrant que leur crime a été involontaire; de reconnaître enfin pour votre roi, ce même dieu dont vous ne pouvez obtenir pardon pour vos frères, ses fils et ses membres, bien que vous prouviez qu'ils sont devenus vos ennemis et les siens, non par leur volonté, mais par nécessité. O cruauté qui dépasse toutes les bornes ! à moins que vous ne cherchiez à le défendre lui-même et à l'excuser en disant qu'il a agi aussi par nécessité. Si donc vous pouviez trouver un autre juge, qui, soustrait à l'empire de la nécessité, observât les lois de l'équité, il ne se contenterait pas de clouer votre dieu à la surface du globe, mais il l'enfermerait dedans avec son redoutable ennemi. Pourquoi, en effet, ne serait-il pas juste que celui qui pousse le premier à pécher par nécessité, soit le premier à être condamné? Combien donc vous auriez encore de profit à choisir, par préférence à ce pire des dieux, l'autre dieu, non tel que nous l'adorons, mais tel que vous croyez ou feignez de croire que nous l'adorons; lequel, sans aucune règle d'équité, sans distinction de condamnation et de punition, n'épargnerait pas ses serviteurs, soit justes, soit pécheurs, mais du moins épargnerait ses membres, innocents si la nécessité n'est pas un crime, coupables pour lui avoir obéi, si la nécessité est un crime; et coupables de manière à être condamnés pour l'éternité par celui avec qui ils devaient être absous, si la victoire lui eût permis de respirer en liberté, ou être condamnés si, après la victoire, la nécessité laissait du moins subsister un reste d'équité. Mais vous forgez un dieu qui n'est point le Dieu vrai et souverain que nous adorons, mais je ne sais quel faux dieu que vous prétendez, de bonne ou de mauvaise foi, que nous adorons : car ni l'un ni l'autre n'existent, ce sont des inventions de votre part : néanmoins, celui que vous forgez et que vous nous accusez d'adorer, vaut encore mieux que celui que vous adorez vous-mêmes.

  1. I Cor. XII, 26.

  2. II Tim. II, 13.

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