CHAPITRE LXI. L'INCESTE DE JUDA ET DE THAMAR.
Du reste, au crime de fornication que Fauste lui reproche, nous en ajoutons un autre c'est d'avoir vendu son frère Joseph pour l'Égypte[^6]. Est-ce que des membres tortus font tort à la lumière qui met tous les objets en évidence ? De même les méfaits d'un homme ne vicient point l'Écriture qui ne fait que les révéler à ses lecteurs. Si on consulte cette loi éternelle qui ordonne de conserver l'ordre naturel et défend de le troubler, elle n'a établi l'acte conjugal que pour la propagation de l'espèce, et, cela, dans les conditions d'un mariage conforme au besoin de la société et qui ne brise point le lien de la paix. Voilà pourquoi la prostitution de la femme, qui a pour but, non la création de la famille, mais l'assouvissement de la passion, est condamnée par la loi divine et éternelle, car toute action coupable, achetée à prix d'argent, déshonore celui qui l'achète. Voilà pourquoi, bien que le péché de Juda eût été plus grave s'il eût sciemment abusé de sa belle-fille (car si, comme dit le Seigneur, l'homme et la femme « ne sont plus deux, mais une seule chair[^1] », une belle-fille doit être considérée comme une fille) : cependant, il est hors de doute qu'il a voulu, autant qu'il était en lui, avoir un coupable commerce avec une prostituée. Quant à elle, qui a trompé son beau-père, elle n'a point péché par convoitise charnelle, ni par l'appât d'une récompense ; mais voulant avoir un enfant de cette famille, où elle n'avait pu en avoir de deux frères qu'elle avait déjà épousés, ni d'un troisième qu'on lui avait refusé, elle a usé de fraude envers son beau-père, le père de ses maris, et est devenue enceinte, après avoir reçu un gage qu'elle conserva, non comme parure, mais comme preuve. Elle eût sans doute mieux fait de rester sans enfants, que de devenir mère contre les lois du mariage ; cependant, en cherchant à avoir, dans son beau-père, un père pour ses enfants, elle a péché d'une tout autre façon que si elle n'eût convoité en lui qu'un adultère. Enfin, comme il la faisait conduire à la mort, elle montra le bâton, le collier et l'anneau, en déclarant qu'elle était enceinte de celui à qui ces gages appartenaient. Juda ayant reconnu que ces objets venaient de lui, confessa qu'il était plus coupable qu'elle, de lui avoir refusé son fils pour époux; ce refus l'avait décidée à recourir à ce moyen pour avoir des enfants de cette race, plutôt que de rester sans postérité. En prononçant cette sentence, il ne la justifiait point, mais il la reconnaissait moins coupable que lui-même : il ne l'approuva point, mais, par comparaison il se mit au-dessous d'elle ; le désir d'avoir des enfants, qui l'avait portée à s'unir charnellement à son beau-père, lui sembla moins condamnable que la passion qui l'avait dominé lui-même et entraîné à avoir commerce avec celle qu'il croyait une prostituée : se rangeant ainsi parmi ceux dont on dit : « Vous avez justifié Sodome[^2] », c'est-à-dire vous avez péché au point que Sodome paraît juste en comparaison de vous. Du reste, quand même on entendrait que le beau-père de cette femme, au lieu de la trouver seulement moins coupable que lui-même, l'a tout à fait approuvée, quoique, selon la loi éternelle de justice qui défend de troubler l'ordre naturel, non-seulement dans les corps, mais avant tout, et principalement dans les âmes, elle ait réellement été coupable d'avoir violé les lois de l'union conjugale : quand cela serait, dis-je, qu'y aurait-il d'étonnant à ce qu'un pécheur approuvât une pécheresse ?
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Id. XXXVII, 26-28.
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Matt. XIX, 6.
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Ez. XVI, 52.