19.
On peut certainement accepter cette définition de la vertu : « La vertu est dans l'âme et une habitude conforme à la nature et à la raison1.». Cicéron disait vrai, mais il ignorait ce qui peut être conforme à la délivrance et à la béatification de notre nature. Qui que nous soyons, et par une sorte d'instinct naturel, nous aspirons tous à l'immortalité et au bonheur; n'est-ce pas une preuve que nous pouvons y parvenir ? Mais comment arriver à ce souverain bien, si ce n'est par Jésus-Christ crucifié, dont la mort a vaincu la mort, et dont les blessures ont guéri notre nature ? Voilà pourquoi le juste vit de la foi de Jésus-Christ. Et cette foi, pour celui qui en suit fidèlement les inspirations, imprime à. ses oeuvres un caractère de prudence, de force, de tempérance, de justice, eu un mot le caractère de toutes les vertus véritables. Si donc les vertus de tel homme ne lui sont d'aucune utilité pour obtenir la véritable béatitude dont la promesse nous est faite par la vraie foi en Jésus-Christ, n'est-ce pas parce que ces vertus ne peuvent être véritables ? Direz-vous, par exemple, que les avares ont de véritables vertus, parce qu'ils sont très-prudents à saisir toutes les chances de s'enrichir, parce qu'ils s'imposent de nombreux et grands sacrifices pour gagner de l'argent, parce qu'ils opposent sans cesse la tempérance et la sobriété à toutes les inspirations du luxe et de la somptuosité, parce qu'ils s'abstiennent de prendre le bien d'autrui, et même quelquefois de revendiquer celui qu'ils ont perdu, pour ne pas s'exposer à en perdre davantage dans des discussions et des procès? Toutes les fois que l'on agit avec prudence, avec force, avec tempérance et avec justice, on met en pratique ces quatre vertus que vous regarderez toujours comme les vertus véritables, si, pour les connaître et en juger, vous ne faites attention qu'à l'oeuvre même, et non pas au but qui les inspire. Comme vous pourriez m'accuser de vous calomnier, je vais citer vos paroles. « Toutes les vertus », dites-vous, « n'ont d'autre origine que l'âme raisonnable, et toutes les affections qui nous rendent ou fructueusement ou stérilement bons; c'est-à-dire la prudence, la justice, la tempérance et la force, ont pour principe notre esprit. Or », ajoutez-vous, « quoique ces affections se trouvent naturellement dans tous les hommes, cependant elles ne tendent pas toujours au même but; ici elles aspirent aux biens éternels, là aux biens temporels, suivant l'impulsion de la volonté dont elles sont les dociles servantes. Il suit de là que, si elles se distinguent entre elles, ce n'est ni par leur nature, ni par leurs actes, mais uniquement par la récompense qu'elles méritent. Par conséquent, aucune perte ne peut les atteindre, ni quant à leur nom, ni quant à leur genre, ruais uniquement quant à leur récompense, dont l'abondance les enrichit, et dont l'absence les appauvrit ». J'ignore où vous avez puisé une semblable doctrine ; cependant vous voyez, je pense, que la conclusion rigoureuse que vous devez en tirer vous met dans la nécessité de regarder comme une vertu véritable la prudente des avares, par laquelle ils savent si bien se ménager tous les genres de bénéfices; la justice des avares, sous l'inspiration de la. quelle, et dans la crainte de plus grands malheurs, ils abandonnent leurs propres biens, plus facilement qu'ils n'usurpent le bien d'autrui; la tempérance des avares, qui se privent de toute somptuosité parce qu'elle coûte trop cher, et se contentent du rigoureux nécessaire pour la nourriture et le vêtement; enfin la fonce des avares, car elle est telle selon les paroles mêmes d'Horace « qu'ils fuient la pauvreté à travers les mers, les rochers et le feu2 » ; n'en avons-nous pas vus, de ces avares, sous le coup d'une invasion des barbares, braver tous les tourments et tous les supplices plutôt que de révéler leurs trésors?
Et pourtant ces vertus, aussi honteuses que criminelles dans leur fin, vous paraissent tellement véritables et belles, « qu'elles ne peuvent souffrir de perte, ni dans leur nom ni dans leur genre, mais uniquement dans leur a récompense dont la faiblesse peut tromper leur attente ». Vous parlez ici, assurément, des avantages terrestres, et non pas des récompenses célestes. A ce prix encore vous célébrerez dans Catilina une justice véritable, car il avait de nombreux amis, prenait hardiment leur défense, et entretenait avec eux des relations assidues ; exaltez en lui la véritable vertu de force, qui le rendait capable de supporter le froid, la faim et la soif, et surtout n'oubliez pas sa patience, car on peut à peine se faire une idée du sang-froid qu'il ne cessa de montrer dans la disette la plus profonde, dans les froids les plus rigoureux, dans des veilles continuelles3. Et pourtant, on regarderait comme un insensé celui qui émettrait une semblable doctrine.
