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Si vous vous proposiez de montrer contre nous la supériorité des philosophes, pourquoi donc ne citiez-vous pas, de préférence, ceux qui ont si habilement traité de celte partie de la philosophie qu'ils appellent éthique, et à laquelle nous conservons le nom de morale ? C'était là pour vous le parti le plus sage, puisque vous soutenez que la volupté du corps est dans l'homme un bien véritable, quoique inférieur à la volupté de l'esprit. Mais il y avait là pour vous une difficulté qui ne saurait échapper à personne. En effet, dans cette question de la volupté qui nous occupe, n'aviez-vous pas à craindre de vous voir écrasé par l'autorité de ces philosophes plus honnêtes, que Cicéron appelle les philosophes consulaires, en raison même de l'honnêteté de leur doctrine? Comment surtout lutter contre ces Stoïciens, ennemis déclarés de toute volupté, et dont vous connaissez la doctrine, puisque, sans trop examiner si elle vous est, ou non, favorable, vous l'invoquez telle qu'elle est formulée par Balbus dans le dialogue de Cicéron1 ? Personnellement désireux de ne pas même nous laisser soupçonner qu'à leurs yeux la volupté du corps n'est pas un bien pour l'homme, vous n'avez garde de nous citer les noms et la doctrine de ces philosophes sur la question morale; et cependant c'était là le point capital à faire ressortir, du moment que vous invoquiez le témoignage des philosophes. Contre les coups qu'ils vous portaient, pouviez-vous vous abriter, je ne dis pas derrière Epicure, pour qui tout le bien de l'homme réside dans la volupté du corps; vous n'en êtes pas encore là ; mais derrière Dinomachus dont vous êtes le chaud partisan? Ce dernier, prenant un moyen terme, réunit bravement la volupté à l'honnêteté, et soutient que ces deux choses peuvent être recherchées au même titre2. Ainsi donc vous avez compris que, la morale serait contre vous une arme trop puissante, aussi l'avez-vous prudemment écartée. Vous voyez maintenant que, dans la controverse entre nous engagée, vous avez contre vous les philosophes païens les plus distingués, et en particulier Platon lui-même, que Cicéron ne craint pas d'appeler en quelque sorte le Dieu des philosophes3. Vous n'avez pu vous-même ne pas nous citer son nom, pour nous prouver d'une manière plus concluante que, dans les matières naturelles, non pas morales, nous étions en désaccord avec les philosophes; vous oubliez sans doute que Platon avait dit des voluptés du corps qu'elles sont pour les méchants un appât et un aliment continuel4.