18.
Quoi qu'il en soit, je ne puis me rendre compte du motif qui vous a déterminé à citer ces paroles de l'Apôtre: «Leur coeur insensé a été rempli de ténèbres1 ». Vous ajoutez : «Il est à remarquer que l'Apôtre regarde la folie comme la cause de tous les maux ». Rien ne prouve toutefois que ce soit là réellement la pensée de l'Apôtre. Mais ce n'est point ce qui m'inquiète; je voudrais seulement que vous me disiez pourquoi vous avez tenu ce langage. Serait-ce parce qu'on aurait tort de regarder les enfants comme des insensés, quoiqu'ils n'aient pu recevoir encore les leçons de la sagesse? et de là vous concluriez que ces enfants ne sont coupables d'aucun péché, si la cause de tous les maux c'est la folie. Mais pour savoir si c'est la folie qui a rendu les premiers hommes orgueilleux, ou si c'est l'orgueil qui les a rendus fous, il faudrait se livrer à une discussion aussi subtile que délicate et minutieuse; quant à la question qui nous occupe, qu'il nous suffise de savoir que ce n'est qu'en quittant la folie que les hommes aujourd'hui deviennent sages. Il peut se faire cependant que, parmi les hérauts du Médiateur, quelques-uns, doués d'une grâce extraordinaire, n'aient jamais connu la folie et soient passés de l'enfance à la sagesse. Si vous attribuez ce précieux résultat à la nature, en dehors de toute foi au Médiateur, vous ouvrez une voie large au venin de votre hérésie. En effet, la conclusion à tirer de ces brillants éloges que vous faites de la nature, c'est que Jésus-Christ est mort en vain2, tandis que nous disons, nous, que la foi en Jésus-Christ, quand elle est animée de la charité3, vient puissamment au secours de ceux qui, par nature, sont insensés. N'est-il pas des hommes qui naissent dans un tel aveuglement du coeur, qu'ils paraissent plutôt ressembler à des animaux qu'à des hommes ? et cette folie qui nous apparaît en eux absolument naturelle, comment pouvez-vous en déterminer la cause, vous qui niez l'existence de tout péché originel? L'expérience quotidienne ne nous prouve-t-elle pas que l'enfant est d'abord incapable de goûter quoi que ce soit; puis, en grandissant, il goûte toutes les vanités, puis enfin, s'il a le bonheur de se ranger du côté des sages, il s'attache à ce qui est vrai et bien. C'est ainsi que, de l'enfance à la sagesse, il faut pour ainsi dire passer par une folie intermédiaire. Vous voyez donc que cette nature humaine, telle qu'elle existe dans les enfants, et dont vous célébrez si pompeusement l'innocence qu'il n'y a plus lieu pour eux de s'appliquer les bienfaits de la rédemption, vous voyez, dis-je, que cette nature humaine donne les fruits de la folie avant de donner ceux de la sagesse, et pourtant vous vous obstinez encore à ne voir en eux aucun vice originel; ou bien, ce qui serait pire encore, vous le voyez, et voles le niez effrontément.