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Jul. Il nous reste à examiner cette maxime par laquelle, ainsi que tu l'avais promis, tu as résumé ta doctrine brièvement, on ne saurait le nier, et en des termes qui sont assez habilement choisis . « Si la nature humaine était une chose mauvaise, elle ne devrait pas être engendrée; s'il n'y avait rien de mauvais en elle, elle ne devrait pas être régénérée : et pour me servir d'une seule expression, si la nature était une chose mauvaise, elle ne devrait pas être sauvée; s'il n'y avait rien de mauvais en elle, elle ne devrait pas non plus être sauvée[^1] ». Nous ne devons pas ici refuser à la pénétration de ton esprit la part d'éloges qui lui revient; il était impossible de rien dire de mieux en faveur de la cause que tu avais embrassée; mais d'autre part la nature des choses né permet pas que l'habileté la plus consommée supplée à la faiblesse des arguments. Certes; il t'est dur de regimber contre l'aiguillon : quel dues efforts que tu fasses pour asseoir solidement l'édifice de ta doctrine, tu le vois aussitôt se dissoudre devant la lumière de la vérité, comme la glace aux rayons du soleil. Enfin, considère avec une attention sérieuse la réponse que nous te faisons ici. Tu as résumé ainsi ta pensée Assurément si la nature humaine était une chose mauvaise, elle ne devrait pas être sauvée ». Nous le reconnaissons volontiers; ces paroles sont d'une vérité incontestable : « Si cette nature était une chose mauvaise, elle ne devrait pas être sauvée »; car une chose mauvaise , et mauvaise par sa,nature, ne mériterait pas d'être sauvée, et même elle ne pourrait pas l'être, parce que sa nature primitive ne pourrait pas être changée; elle ne mériterait pas de l'être, parce qu'il n'y aurait rien en elle qui fût digne d'être délivré par un acte de la clémence divine. Toutefois quand nous disons : « Si la nature humaine était..... » (ce qu'elle ne saurait être assurément), nous ne voulons pas faire naître dans l'esprit de notre adversaire l'espoir d'obtenir enfin de nous un aveu contraire à ce que nous avons enseigné jusqu'ici. Il arrive très-souvent, en .effet, que pour réfuter la doctrine d'un adversaire on a recours à un moyen de ce genre ; on dit, par exemple : Si telle ou telle chose (que l'on sait ne pouvoir exister) existait réellement, il faudrait sans aucun doute admettre telle ou telle conséquence ; et par le fait même que l'hypothèse dans laquelle on se place ne peut être considérée comme vraie; on se trouve à plus forte raison autorisé à qualifier de fausse la maxime que l'on voulait écarter par ce moyen. Nous avons déjà bien des fois démontré que rien ne saurait être mauvais par nature; mais pour le moment, sans porter aucune atteinte à la vérité de cette maxime tant de fois démontrée, nous souscrivons volontiers à cette première partie de la conclusion : « Si la nature humaine était une chose mauvaise, elle ne devrait pas être sauvée ». Tu as placé le salut dans le baptême, et tu as posé ensuite les conséquences logiques de ce principe; en effet, si les Manichéens disaient vrai quand ils enseignent que la nature est mauvaise, ce serait de la part des chrétiens un acte de folie de croire que le remède du baptême doit être appliqué à cette nature mauvaise : d'où il suit que l'on ne peut affirmer que la nature humaine est mauvaise, sans être contraint de nier l'efficacité de la grâce : et, par une raison inverse, affirmer l'existence et l'efficacité de la grâce, c'est rendre hommage à la nature humaine pour le salut de laquelle on reconnaît que le remède de la grâce a été préparé.
Aug. Ton langage est ici contraire à la vérité : tu cherches à tromper les autres, ou tu es toi-même victime de l'erreur. Celui-là est contraint de nier l'existence et l'efficacité de la grâce, qui affirme, non pas que la nature humaine est mauvaise, mais que cette nature est un mal, en d'autres termes, qu'elle est une chose absolument mauvaise. Car si la nature humaine est seulement mauvaise, il s'ensuit qu'elle a un pressant besoin du secours de la grâce. En effet, tout homme mauvais est une nature mauvaise, l'idée de nature étant sans aucun doute inséparable de l'idée de l'homme; de même, toute femme mauvaise est nécessairement une nature mauvaise, l'idée de nature étant également inséparable de l'idée de femme. Pourquoi donc ne pourrait-on pas qualifier de mauvaise la nature humaine, sans être contraint de nier l'existence et l'efficacité de la grâce; puisque la grâce a précisément pour objet de venir au secours des natures mauvaises, c'est-à-dire des hommes mauvais , afin qu'ils cessent d'être mauvais? Mais il y a une grande différence entre ces deux propositions : Cet homme est mauvais; cet homme est un être essentiellement mauvais : la première peut être vraie, la seconde ne saurait l'être. Pareillement, si nous disons : Cet homme est vicieux, ces paroles peuvent être vraies; mais si nous disons : Cette homme n'est pas autre chose que le vice même, cette proposition ne saurait plus être vraie. Conséquemment, cesse d'être le jouet de l'erreur, ou de chercher à induire les hommes en erreur; et comprends le sens que j'ai attaché à ces paroles : « Si la nature humaine était une chose essentiellement mauvaise, elle ne devrait pas être engendrée; s'il n'y avait rien de mauvais en elle, elle ne devrait pas être régénérée » ; dans ma pensée, cette argumentation avait la même valeur que celle-ci : Si la nature humaine n'était pas autre chose que le vice même, elle ne devrait pas être engendrée ; s'il n'y avait rien de vicieux en elle, elle ne devrait pas être régénérée. Il en est de même des paroles suivantes par lesquelles je me suis résumé d'une manière encore plus précise : « Si la nature humaine était une chose absolument mauvaise, elle ne devrait pas être sauvée; s'il n'y avait rien de mauvais en elle, elle ne devrait pas non plus être sauvée ». Ces paroles avaient dans ma pensée le même sens que ces autres : Si la nature humaine était le vice même, elle ne devrait pas être sauvée ; s'il n'y avait rien de vicieux en elle, elle ne devrait pas non plus être sauvée. Voici que je me suis exprimé d'une manière plus explicite, non pas pour te faciliter les moyens de répondre à mes arguments , mais pour faire voir à nos lecteurs que tu n'as pu trouver aucun moyen de me répondre.
- Du Mariage et de la conc., liv. II, n. 36.