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Jul. Voyons maintenant comment les paroles que tu as ajoutées ensuite confirment encore cette conclusion. « Celui », dis-tu, « qui prétend que cette nature n'est pas une chose bonne en elle-même, nie qu'elle soit l'oeuvre d'un Créateur bon ; mais celui qui prétend qu'il n'y a rien de mauvais en elle, la prive, par un acte de la plus odieuse injustice, des remèdes que lui avait préparés la miséricorde du Sauveur[^1] ». Si donc, ainsi que tu as été obligé de le reconnaître, on ne peut nier que la nature soit bonne essentiellement, sans nier par là même qu'elle soit l'oeuvre d'un Créateur bon, c'est-à-dire de Dieu ; et si, d'autre part, les mots de nature mauvaise ne désignent pas autre chose, sinon une nature qui mérite par elle-même d'être châtiée; il est manifeste que vous confirmez par votre propre aveu la vérité de notre assertion ; de cette assertion, dis-je, par laquelle nous avons déclaré que vous n'attribuez pas la création des hommes au Dieu bon, puisque vous invoquez à la fois les vices (le la nature humaine et les châtiments qui lui sont ou qui lui seront infligés, pour prouver que cette nature est mauvaise.
Aug. La nature humaine est mauvaise parce qu'elle est viciée; mais elle n'est pas pour cela essentiellement mauvaise, parce qu'elle ne cesse pas pour cela d'être nature. En effet, une nature, en tant que nature, n'est jamais une chose essentiellement mauvaise; elle doit au contraire être considérée comme une chose bonne en elle-même, et sans laquelle toutefois aucun mal ne pourrait jamais exister : car le vice ne saurait être conçu comme subsistant par lui-même; il ne peut subsister que dans une nature distincte de lui-même; bien que celle-ci, toutes les fois qu'elle n'a pas été flétrie par le vice, ou qu'elle a été guérie des funestes atteintes du vice; puisse être exempte de tout vice. Si les Manichéens comprenaient cette distinction, ils cesseraient aussitôt d'être Manichéens et d'introduire deux natures émanant de deux principes opposés, l'un bon et l'autre mauvais. Si donc tu vois combien notre doctrine diffère de celle des Manichéens, garde désormais le silence : si tu ne le vois pas, tais-toi pareillement.
- Du Mariage et de la Conc., liv. II, n. 36.