21.
Jul. Certes, ces paroles ont été écrites par un apôtre et par un apôtre que le Seigneur Jésus aimait avec une tendresse particulière et cependant, quand même la pensée de leur auteur ne nous serait pas révélée, soit par l'Évangile qu'il a écrit aussi, soit par la sublime gravité avec laquelle il a composé ses Epîtres, ces mêmes paroles ne seraient pas capables de détruire la réalité des faits, et leur témoignage devrait nécessairement céder devant le témoignage de toutes les Ecritures qui attribuent expressément à Dieu la création du monde. Mais saint Jean a écarté toute difficulté d'interprétation par ces autres paroles si sublimes et si admirables qu'il a placées au commencement de son Evangile : « Le Verbe était Dieu », dit-il; « toutes choses ont été faites par Lui et rien n'a été fait sans lui ». Et plus loin : « Il était la vraie lumière qui illumine tout homme venant en ce monde : il était dans ce monde et le monde a été fait par lui.... » Et encore : « Le Verbe s'est fait chair, afin de pouvoir habiter parmi nous[^1] ». En s'exprimant ainsi, il a dissipé d'avance toute obscurité par rapport au sens véritable de sa pensée mais il a montré aussi qu'il savait et qu'il ne craignait pas d'affirmer que Dieu est le créateur du monde tout entier et de toutes les choses qui se trouvent dans le monde, et il a fait voir par là même que les Manichéens ne sauraient trouver aucun argument solide en faveur de leurs maximes. Quand on a déclaré que tous les êtres ont été créés par Dieu, il est bien permis d'employer abusivement et sans aucun préjudice pour la foi, le nom de telle ou telle substance pour désigner la convoitise déréglée à laquelle cette substance sert d'instrument.
Aug. Mais tu ne veux pas que la concupiscence de la chair soit considérée comme un mal, alors même qu'elle est déréglée; tu prétends au contraire qu'elle est toujours bonne, et que ceux qui cèdent sans aucune retenue à ses sollicitations, font seulement un usage mauvais d'une chose bonne en elle-même. D'où il suit que, si la concupiscence de la chair est une chose bonne en soi, elle, doit nécessairement, lorsqu'elle est modérée, être un bien modéré; et lorsqu'elle est immodérée , elle doit par la même raison être un bien immodéré : tu ajoutes cependant que céder à cette concupiscence , lorsqu'elle est modérée, c'est faire un bon usage d'une chose bonne ; tandis que céder à cette même concupiscence, lorsqu'elle est immodérée, c'est faire un usage mauvais d'une chose bonne. De même, dis-tu, que le vils est lune chose bonne en soi; car toutes les substances créées par Dieu sont bonnes[^2] ; et néanmoins celui qui use modérément de vin, fait un bon usage d'une chose bonne, tandis que celui qui en use d'une manière immodérée, fait un usage mauvais d'une chose bonne. Mais saint Jean n'aurait jamais dit que le vin ne vient pas du Père, comme il l'a dit de la concupiscence de la chair. Ainsi, tu ne trouves aucune sorte de concupiscence charnelle qui ne vienne point du Père : celle même qui est immodérée est bonne à tes yeux ; et celui-là seul n'est pas bon, qui use de ce bien immodéré, c’est-à-dire, qui fait un usage mauvais d'une chose bonne. Pourquoi donc hésites-tu encore à dire en termes nets et précis ce que tu dis d'une manière obscure et avec de longs détours, savoir, que saint Jean a enseigné l'erreur, et que toi-même tu enseignes la vérité ? Car, si, comme vous le prétendez, la concupiscence de la chair est bonne alors même que l'homme en use d'une manière immodérée, et que celui-là seul soit mauvais qui fait ainsi un usage mauvais d'une chose bonne, il est manifeste que le disciple bien-aimé a enseigné une erreur, quand il a dit : La concupiscence de la chair ne vient point du Père, c’est-à-dire, de Celui de qui viennent tous les biens naturels.
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Jean, I, 1, 3, 9, 10, 11.
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I Tim. IV, 4.