58.
Julien. L'unité d'un être sans liberté demande que tout soit bien dans sa nature quand il reçoit l'existence. Lorsqu'ensuite il est doué de liberté, il n'en est pas moins la ligne droite qui: touche à son terme dès que les volontés s'opposent l'une à l'autre. C'est ainsi que la division n'est pas essentielle à la nature de l'être sans libre arbitre. C'est ainsi encore que nous sommes forcés d'avoir la puissance, mais sans être forcés d'en user en bien ou en mal; de là vient.aussi que le pouvoir de pécher est capable du bien comme du mal, mais du bien et du mal volontaires; car on ne saurait être capable d'un acte bon, si l’on n'est capable également d'un acte mauvais.
Augustin. Dis plutôt, si tu,veux.dire vrai, que la nature de l'homme fut d'abord capable de bien et, de mal, non qu'il ne pût être capable que du bien seul, mais parce qu'il devait s'y élever d'après les desseins de. Dieu, en sorte que s'il n'eût point péché quand il pouvait pécher, il serait arrivé à ce bonheur où le péché fût devenu impossible. Car nous l'avons déjà dit, l'un et l'autre de ces états sont bons, bien que l'un soit moindre et l'autre meilleur. Le moindre a le pouvoir ne point pécher, le meilleur de ne pouvoir pécher; et, il devait, parle mérite d'un bonheur moindre, s'élever à la récompense d'un bonheur plus grand. Car si la nature humaine, selon toi, ne pouvait faire son propre bien, sans pouvoir aussi faire le mal, pourquoi donc après cette vie pieusement achevée, ne serait-elle capable que du bien seul, et non du mal, étrangère non-seulement à toute volonté ou à toute, nécessité, ruais aussi à toute possibilité de pécher? Faudra-t-il en effet craindre le . péché de notre. part, quand nous serons semblables aux Anges? Pour.eux, nous devons croire sans hésitation qu'il leur a.été donné de ne pouvoir pécher, en récompense de leur fidélité, parce qu'ils sont demeurés fermes quand les autres tombaient du ciel et qu'eux-mêmes pouvaient pécher. Autrement il nous faudrait craindre d'avoir en ce monde beaucoup de nouveaux diables et de nouveaux anges mauvais. Quant aux saints qui ont quitté leurs corps, nous aurons à les suspecter aussi, à craindre qu'ils n'aient péché, qu'ils ne pèchent dans ce lieu où ils sont arrivés; puisque dans la nature raisonnable, le pouvoir de pécher est en permanence, et qu'elle ne saurait être capable du bien, sans l'être du mal. Et comme tout cela est absurde, rejetons cette opinion; croyons plutôt que cette nature fut créée d'abord capable du bien et du mal, afin que l'amour pour l'un ou pour l'autre lui constituât un mérite qui la rendit ensuite capable du bien ou du mal seul, et de manière toutefois que si elle était frappée de l'éternelle damnation, il y eût plutôt pour elle contrainte d'endurer le mal que faculté de le faire.