• Accueil
  • Œuvres
  • Introduction Instructions Collaboration Sponsors / Collaborateurs Copyrights Contact Mentions légales
Bibliothek der Kirchenväter
Recherche
DE EN FR
Œuvres Augustin d'Hippone (354-430) Contra secundam Iuliani responsionem imperfectum Contre la seconde réponse de Julien
LIVRE SIXIÈME. LE SIXIÈME LIVRE DE JULIEN.

16.

Julien. Je ne sais vraiment, dans ta détresse, quelle embûche inepte ou débile tu veux me tendre, pour me dire que tu ne saurais établir parle raisonnement qu'Adam fut créé bon par Dieu, mais que pour le croire nous devons nous contenter de l'autorité de l'Ecriture , qui rapporte qu'au sixième jour après la formation de l'homme, et au sujet de toutes les créatures : « Et Dieu vit toutes ses oeuvres, et elles étaient très-bonnes[^1] ». Parole qui non-seulement relève; la dignité de l'ouvrier, non-seulement la mesure de sa justice, mais qui atteste que tout ce qui a été créé est créé dans le bien, et te fait croire qu'Adam ne fut pas créé mauvais. Or cette parole qui touche peu le Manichéen, qui le porte à rire, nous livre néanmoins le Traducien pieds et poings liés. Pour ne pas attrouper les peuples contre ta conclusion par aucun témoignage des saintes Ecritures, nous emprunterons uniquement l'autorité de l'Apôtre qui, dans la prévision d'une hideuse erreur, a dit à haute voix contre vous : « Que toute créature de Dieu est bonne[^2] ». Si donc, pour affirmer que la nature du premier homme fut bonne dans sa création, il te suffit que Moïse ait dit que Dieu a bien fait toutes choses, et si tu en conclus qu'il n'a pu être créé par Dieu avec le péché, parce que nous lisons qu'il fut bon parmi les autres créatures ; les mêmes lignes nous feront conclure que nul ne saurait naître avec le péché, puisque l'Apôtre prétend que toute créature de Dieu est bonne.

Quel est donc le résultat de nos discussions? C'est que la- publicité donnée à tes luttes contre les Manichéens, mit au grand jour ce que la raison avait déjà découvert; que dans cette lutte pas un seul de tes traits n'a pu frapper tes maîtres sans te frapper avec eux, et ainsi se montrent sous le plus grand jour les liens obscènes qui vous unissent dans un même corps d'impiété. Où trouver une plus intime liaison que celle qui n'est point brisée par la lutte ? Le dogme des Traduciens meurt avec celui des Manichéens ; rien de ce qui les frappe ne t'épargne. Entre vous, mêmes institutions, mêmes mystères et même dangers: et tu te fâches dès qu'on t'appelle race du vieux Manès ?

Augustin. Tu proclames que je ,ne saurais par aucun raisonnement prouver qu'Adam fut créé bon, comme si c'était là le point de notre discussion; est-ce que tous deux, et pas seulement toi ou moi, ne disons point qu'il fut créé bon ? Car tous deux nous confessons qu'une nature est bonne quand elle pouvait ne point pécher si elle l'eût voulu ; mais quand je te devance pour la proclamer meilleure encore, en disant qu'elle aurait pu ne point mourir si elle eût voulu ne point pécher, comment viens-tu m'accuser de ne pouvoir démontrer par aucune raison qu'Adam fut créé bon par Dieu, quand mes raisons le montrent meilleur que les tiennes ? Les miennes, en effet, montrent non-seulement qu'il n'eût point péché s'il n'eût voulu, les tiennes qu'il fut créé mortel, en sorte que, pécheur ou non pécheur, il devait mourir[^3]. C'est ce que Pélage condamna, pour éviter d'être lui-même condamné quand les évêques de Palestine le lui reprochèrent. En sorte qu'y est condamné par lui-même, comme l'Apôtre l'a dit de l'homme hérétique[^4]. Je dis aussi qu'Adam ne craignait pas la mort, puisqu'il était en son pouvoir de ne point mourir; tan. dis que, selon toi, il devait nécessairement mourir, quand même il n'eût pas été dans la nécessité de pécher. Mais dire qu'il craignait la mort même avant de pécher, n'est-ce point dire qu'il fut créé malheureux ? Si, pour éviter d'être malheureux, il ne craint point lai mort, bien qu'elle doive arriver, il a du moins engendré une race malheureuse, en lui inculquant à sa naissance la crainte de la mort. Qui pourra nier, en effet, que par nature les hommes craignent la mort, au point que c'est à peine si quelques-uns ont l'âme assez grands pour ne pas la redouter ? A cette bonté de la condition d'Adam, j'ajoute que, avant le péché, la chair ne se soulevait pas contre l'esprit, et toi, que cette concupiscence de la chair eût existé dans le paradis, même quand nul n'aurait péché, et que, même avant le péché, elle était la même en lui ; tu renchéris donc sur sa condition par ce déplorable conflit entre l'esprit et la chair.

Donc, puisque je prouve, par des raisons si nombreuses et si fortes, qu'Adam fut créé meilleur et plus heureux que tu ne le dis, comment oses-tu bien pousser la sottise et la démence jusqu'à dire que je ne puis enseigner par aucune raison qu'Adam fut créé bon par Dieu, et que pour le croire je me contente du texte sacré, où nous lisons que Dieu a bien fait toutes choses? dune suis pas plus obtus qu'un mortier, comme tu m'en fais le reproche[^5], pour aller, en argumentant contre les Manichéens, leur objecter l'autorité des saintes Ecritures, qu'ils ne reconnaissent point. A l'occasion, je te l'objecterai, puisque c'est une autorité commune entre toi et moi. Quant au Manichéen, ce n'est point parce que Dieu en est l'ouvrier, ce qu'il nie, que je lui prouve que ces créatures sont bonnes ; mais je m'appuierai plutôt sur leur bonté pour le forcer à confesser la bonté de leur auteur. Mais quand l'Apôtre, que les Manichéens se vantent d'accepter, vient nous dire : « Toute o créature de Dieu est bonne » ; comme il est évident de quelle créature il veut parler, c'est là un témoignage qui prouve contre eux, à moins qu'ils n'en viennent à prétendre qu'on a inséré des faussetés dans les livres qu'ils acceptent comme canoniques. Dès lors on peut toujours s'appuyer sur la bonté des créatures, pour leur faire avouer qu'elles sont l'oeuvre d'un Dieu bon, ce qu'ils nient. Or toutes les créatures sont bonnes à ce point que la raison s'appuie même sur les vices de celles qui sont créées vicieuses, pour affirmer que celles-là mêmes sont bonnes. Car le vice est contre nature, et si, avec raison, la nature ne nous plaisait pas, le vice de la nature n'aurait pas droit de nous déplaire. Ceci est à l'adresse des Manichéens qui prétendent que les vices sont des natures et des substances; nous en avons parlé plus longuement dans quelques-uns de nos opuscules, où nous montrons que le vice n'est pas une nature, et qu'il est le ruai parce qu'il est contre nature; que dès lors la nature est bonne en tant que nature. D'où l'on conclut que le Créateur de la nature n'est autre que le Créateur de ce qui est bien, et que dès lors, il est bon ; trais que dans sa bonté il est infiniment supérieur à ses créatures, puisque le vice ne saurait aucunement l'atteindre, et qu'il en est ainsi non par l'effet de la grâce, mais par la propriété de sa nature. Donc toutes les natures, soit les natures sans défaut, soit les natures viciées après leur naissance, soit les natures viciées en naissant, ne sauraient avoir pour créateur que le Créateur du bien ; car, en tant que natures, elles sont bonnes, quels qu'en soient d'ailleurs les vices; leur Créateur est l'auteur de leurs natures et non de leurs vices ; et l'auteur même de ces vices est bon par sa nature dont Dieu est l'auteur ; mais mauvais au point de vue du vice qui met entre lui et sols auteur, qui est bon, la distance d'une volonté mauvaise. Telle est donc la raison que l'on peut opposer aux Manichéens, qui refusent de reconnaître l'autorité de cette parole : « Dieu a fait toutes choses, et elles étaient très-bonnes », quand il n'y avait encore aucun mal, ou de cette autre : « Toute créature de Dieu est bonne », quand ce siècle était déjà mauvais, puisque Dieu a fait tous les siècles.

Mais toi qui reconnais l'autorité des divines Ecritures, que l'on peut t'opposer à juste titre, pourquoi ne pas fixer ton attention sur ce livre où nous lisons que Dieu a bien fait toutes choses, que le meilleur des lieux fut le paradis que Dieu planta, et où Dieu souffrit tellement peu le moindre mal, qu'il n'y laissa pas même l'image de l'homme, après qu'il eut péché par sa propre volonté? Et vous, dans ce lieu de bonheur et de splendeur où l'on ne saurait croire que le vice ait eu ou ait pu avoir entrée, soit dans les arbres, soit dans les plantes, soit dans les fruits, soit dans tel produit ou dans tel animal, vous ne craignez pas d'introduire chez les hommes les défauts du corps et de l'esprit, défauts avec lesquels naissent les hommes, comme nous vous le laissons déplorer, mais pas nier ! Car il vous faut bien le déplorer, quand vous ne trouvez aucune réponse et que vous vous obstinez dans votre opinion, qui vous impose l'absolue nécessité d'introduire dans le séjour si ravissant d'une si ravissante félicité, des aveugles, des louches, des chassieux, des sourds, des muets, des boiteux, des bossus, des contrefaits, des teigneux, des lépreux, des paralytiques, des épileptiques, et tant d'autres difformités de toutes sortes, et parfois même des monstres horribles avec des membres hideux ou même nouveaux. Que dire des vices de l'âme, qui engendrent chez les uns la lubricité, chez les autres la colère, chez celui-ci la crainte, chez celui-là l'oubli, ici la nonchalance, et là l'idiotisme, et quelquefois une telle folie que l'homme préférerait vivre avec certains animaux plutôt qu'avec des hommes semblables ? Ajoutez à cela les gémissements de la mère qui enfante, les pleurs du nouveau-né, les déchirements de la maladie, les fatigues de la langueur, les souffrances nombreuses des mourants, et les dangers bien plus nombreux encore des vivants. Où trouver des paroles pour énoncer convenablement, ne fût-ce que brièvement, tous ces maux et de plus grands encore ? D'après votre erreur, mais évidemment contre toute pudeur, en levant le front ou en le cachant dans vos mains, vous voilà forcés de placer dans le paradis de Dieu tous ces maux, et de dire qu'ils y auraient existé quand même nul n'aurait péché. Dites-le, dites-le tout haut, pourquoi craindre de déshonorer par des vices si nombreux et si grands un lieu d'où vous bannit votre effroyable dogme ? Car si vous vous réserviez d'y entrer un jour, vous n'y jetteriez jamais ces saletés. Ou si vous avez dans l'âme assez de pudeur pour rougir, pour avoir en horreur de jeter en ce lieu de tels maux, si vous en êtes stupéfaits sans néanmoins renoncer à votre erreur qui consiste à proclamer que la nature humaine ne fut point viciée par la prévarication du premier homme ; répondez aux Manichéens d'où viennent ces maux, de peur qu'ils n'en concluent qu'ils viennent du mélange d'une nature étrangère et mauvaise. Pour nous, quand on nous fait cette question, nous répondons que cela ne résulte point du mélange d'une nature étrangère, mais de la prévarication de notre nature, par celui qui fut chassé du paradis, de peur qu'une nature damnée ne demeurât dans le séjour de la félicité, et qu'on ne rencontrât dans ce lieu d'où tout mal doit être exclu, les vices et les douleurs qui devaient s'attacher à la postérité du premier coupable. Mais vous, en niant que ces difformités, que ces malheurs soient le châtiment des vices de notre nature, vous ouvrez la porte à ce mélange d'une nature étrangère, et dans votre infortune vous êtes forcés de venir en aide 'aux Manichéens, et dans votre erreur il-vous faut admettre ces maux dans le paradis, d'où les bannissait votre pudeur.

  1. Gen. I, 31.

  2. I Tim, IV, 4.

  3. Lib. de Gestis Pelagii, cap. II, 33 et 35.

  4. I Tit. III, 11.

  5. Voir ci-dessus, liv. II, n. 117 ; tom. XVI.

pattern
  Imprimer   Rapporter une erreur
  • Afficher le texte
  • Référence bibliographique
  • Scans de cette version
Download
  • docxDOCX (807.81 kB)
  • epubEPUB (782.29 kB)
  • pdfPDF (3.06 MB)
  • rtfRTF (2.97 MB)
Traductions de cette œuvre
Contre la seconde réponse de Julien

Table des matières

Faculté de théologie, Patristique et histoire de l'Église ancienne
Miséricorde, Av. Europe 20, CH 1700 Fribourg

© 2025 Gregor Emmenegger
Mentions légales
Politique de confidentialité