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Celui donc qui s'applique à suivre la perfection de l'Évangile, vit sous la grâce et ne souffre plus la tyrannie du péché; c'est vivre sous la grâce que de faire ce que la grâce demande. Celui, au contraire, qui ne veut pas se soumettre pleinement à la perfection de l'Évangile, doit savoir que, tout en étant baptisé, chrétien et religieux, il ne vit pas dans la liberté de la grâce, mais dans les chaînes de la loi et sous le joug du péché. Le dessein de Dieu, qui donne la grâce de l'adoption à tous ceux qui se donnent à lui, n'est pas de détruire, mais de perfectionner les préceptes de Moïse, pour les mieux accomplir et non pour les rejeter.
Beaucoup méconnaissent et négligent ces conseils sublimes, et les exhortations de Notre-Seigneur. Ils s'imaginent jouir d'une telle liberté, que non-seulement ils ne s'élèvent pas aux préceptes évangéliques, comme trop difficiles, mais qu'ils méprisent encore, comme trop anciens, les commandements de la loi mosaïque , qui ont été donnés pour les faibles et les commençants. Ils semblent dire, dans leur coupable indépendance, cette parole que réprouve l'Apôtre : « Nous pècherons, parce que nous ne sommes plus sous la loi, mais sous la grâce. » (Rom., VI, 15.) Car celui qui n'est pas sous la grâce, puisqu'il ne s'est pas élevé à la perfection de l'Évangile, et qui n'est pas sous la loi, puisqu'il n'en observe pas les plus faciles commandements, est doublement esclave du péché. Il s'imagine n'avoir reçu la grâce du Christ que pour abuser de sa liberté, en s'éloignant de lui. Il fait ce que saint Pierre nous avertit d'éviter : « Agissez, dit-il, comme des hommes libres, et ne prenez pas comme un prétexte la liberté du mal. (I S. Pierre., II, 16.) « Vous, mes frères, dit saint Paul, vous êtes appelés à la liberté » ( Gal., V, 13); c'est-à-dire à être affranchis de la domination du péché, pourvu que vous ne profitiez pas de votre liberté pour satisfaire votre sensualité, et que vous ne croyiez pas ce vice permis, parce que vous n'êtes plus soumis aux préceptes de la loi. Saint Paul nous apprend que la vraie liberté n'est jamais que là où le Seigneur habite. « Le Seigneur est l'Esprit, et là où est l'Esprit du Seigneur, se trouve la liberté. (II Cor., III, 17.) Je ne sais si j'ai pu vous faire comprendre ces paroles de l'Apôtre, comme les comprennent ceux qui en ont fait l'expérience; je sais seulement très-bien qu'elles deviennent très-claires par la pratique, et qu'elles n'ont plus alors besoin d'éclaircissements : la lumière de l'expérience en apprend plus que toutes les paroles.