A THÉODOTIUS ET A QUELQUES AUTRES SOLITAIRES. IL SE RECOMMANDE A LEURS PRIÈRES.
Lettre écrite du désert, en 370.
Que je voudrais bien être maintenant avec vous, et, tout indigne que je suis de vous voir, que j'aurais de joie d'embrasser tous vos frères! Je verrais une solitude plus agréable que toutes les villes du monde, et des déserts habités, comme le Paradis terrestre, par une multitude de saints. Mais puisqu'un aussi grand pécheur que moi ne mérite pas de vivre en votre compagnie, je vous conjure du moins (et je suis sûr que vous pouvez obtenir cette grâce pour moi) de prier Dieu qu'il me délivre des ténèbres de ce monde. Je vous l'ai déjà dit de bouche, je vous le répète encore aujourd'hui dans cette lettre ; il n'y a rien que je souhaite avec tant de passion que de me voir affranchi de la servitude du siècle. Ménagez-moi donc par vos prières cette heureuse liberté. C'est à moi de vouloir, mais c'est à vous de m'obtenir la grâce de pouvoir exécuter ce que je veux. Je suis comme une brebis malade qui s'est écartée du troupeau; à moins que le bon pasteur ne me charge sur ses épaules pour me reporter à la bergerie, je serai toujours faible et chancelant, et je tomberai même lorsque je ferai tous mes efforts pour me relever. Je suis cet enfant prodigue qui ai consumé dans la débauche tout ce que mon père m'avait donné, et qui, toujours enchanté des plaisirs du monde, ai négligé jusqu'à ce jour de venir lui demander pardon de mes égarements. Comme tout ce que j'ai fait pour renoncer à mes désordres s'est borné à d'inutiles désirs et à de vains projets de conversion, le démon ne cesse de me tendre de nouveaux piéges et de me susciter de nouveaux obstacles. Il me semble qu'une vaste mer m’environne de tous côtés; et dans la situation où je me trouve, je ne saurais ni reculer ni avancer. C'est donc de vos prières que j'attends le vent favorable du Saint-Esprit pour continuer ma course, et pour arriver heureusement au port.