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Mais l'Apôtre, me direz-vous, commande aux jeunes veuves de se marier, puisqu'il écrit à son disciple Timothée : De refuser les jeunes veuves. (I Tim. V, 11.) Ah ! ce n'est point l'Apôtre qui les empêche de garder la virginité; ce sont elles-mêmes qui l'ont contraint à leur donner cette permission, contre son propre sentiment. Si vous désirez connaître sa pensée intime, écoutez cette parole : Je voudrais que vous fussiez tous dans l'état où je suis moi-même, c'est-à-dire chastes et continents. (I Cor. VII, 7.) Supposerons-nous qu'il se contredise lui-même, qu'il affirme successivement le pour et le contre, et que, souhaitant que tous embrassent la virginité, il s'oppose à ce que les veuves demeurent volontairement dans l'état de viduité ? — Mais enfin, pourquoi veut-il que Timothée refuse les jeunes veuves? Il en donne lui-même la raison, ce n'est pas ici un précepte général: Après qu'elles ont vécu dans la dissipation, dit-il, sous l'autorité de Jésus-Christ, elles veulent se remarier. Ainsi, l'Apôtre ne parle point des veuves qui veulent garder la chasteté, il ne désigne que celles qui, dégoûtées de leur état, veulent se remarier. Ce sont ces dernières auxquelles il permet les secondes noces, et qu'il défend sagement d'admettre au rang des diaconesses.
Et, en effet, ô veuve, si vous désirez contracter un nouveau mariage, gardez-vous bien de faire voeu de continence, puisqu'il vaut mieux ne rien promettre que de violer ses promesses. Au reste, l'Apôtre, après avoir ordonné aux époux de ne point se refuser l'un à l'autre, pour éviter le danger de l'incontinence, ajoute : Ce que je vous dis, c'est par condescendance, et je n'en fais point un commandement. (I Cor. VII, 6.) De même, il permet ici les secondes noces, par crainte d'un plus grand mal, et prouve ainsi qu'il sait avoir égard à la faiblesse de plusieurs. Ce n'est point que la veuve ne puisse persévérer dans l'état de chasteté, mais c'est qu'elle ne le veut plus. Or, si la vierge qui viole ses veaux, commet un crime énorme, la veuve qui a fait voeu de viduité, et qui ensuite foule aux pieds ses engagements sacrés, mérite les mêmes châtiments que la vierge infidèle, et, si j'ose le dire, des châtiments plus rigoureux encore. Car, je le répète, l'on excuse dans l'une l'inexpérience , et l'on condamne dans l'autre la connaissance du mal. C'est ainsi que l'Apôtre, abordant de nouveau ce même sujet, dit : J'aime mieux que les jeunes veuves se marient, qu'elles, soient mères de famille et qu'elles aient des enfants, afin qu'elles ne donnent à nos ennemis aucune occasion de parler mal de nous. (I Tim. V, 14.) Tel est le motif de sa condescendance : et il est vraisemblable que de son temps plusieurs veuves usaient avec trop peu de réserve d'une liberté qui leur était rendue. Elles s'exposaient donc à la malignité de la critique, et c'est pour leur en faire éviter les traits que l'Apôtre veut qu'elles reprennent le joug du mariage. Et en effet, dit-il, si l'on prévoit qu'une jeune veuve cherchera l'ombre et le secret pour oublier ses devoirs, il vaut beaucoup mieux qu'elle se marie, et ne donne à nos ennemis aucune occasion de parler mal de nous.
L'Apôtre ne permet donc aux veuves un second mariage que par crainte d'une conduite légère qui les exposerait à la critique et au déshonneur. Et voici les reproches qu'il leur adresse : tandis qu'elles devraient vaquer à la prière et à l'oraison, elles vivent dans l'oisiveté, et s'accoutument à aller de maison en maison; elles sont non-seulement oisives, mais encore causeuses et curieuses, s'entretenant de choses dont elles ne devraient point parler. (I Tim. V, 13.) Certes, il ne pouvait trop condamner une telle conduite; aussi veut-il qu'une veuve s'occupe presque exclusivement d'exercices spirituels, car celle qui vit dans les délices est morte, quoiqu'elle paraisse vivante. (I Tim. V, 6.) C'est ainsi qu'en parlant de la virginité, le même apôtre en fait consister l'excellence, moins dans la chasteté du corps que dans la facilité qu'elle nous donne, de nous consacrer à Dieu et de nous dévouer à la piété. Je vous dis ceci, écrit-il aux Corinthiens, pour votre avantage, et non pour vous tendre un piège, mais pour vous porter à ce qui est plus saint, et à ce qui vous donne un moyen plus facile de prier le Seigneur sans obstacle. (I Cor. VII, 35.) La vierge chrétienne ne saurait donc se partager entre Dieu et le monde, elle ne doit s'occuper que du soin des choses du ciel, et ne s'attacher qu'à plaire au Seigneur. Or, c'est à ce même genre de vie qu'il invite les veuves, puisqu'il veut que celle qui est vraiment veuve et délaissée, espère en Dieu, et qu'elle persévère jour et nuit dans la prière et l'oraison. (I Tim. V, 5.) Mais en même temps il engage à un second mariage les jeunes veuves qui, au lieu d'employer leurs loisirs selon les règles de l'Evangile, les consumeraient en des occupations vaines ou frivoles, et même en des choses mauvaises. Le repos du sabbat exigeait des juifs bien moins la cessation des oeuvres serviles que l'accomplissement des devoirs de la religion : et de même les veuves et les vierges qui font voeu de chasteté, se proposent non-seulement de se conserver pures, mais surtout de ne s'occuper que des choses de Dieu, et de se consacrer entièrement à son service.
