4.
Quel péché voulez-vous que nous examinions d'abord ? Vous vous convaincrez que c'est ainsi qu'il se commet. Quand les voleurs de nuit veulent enlever quelque chose de précieux, ils éteignent d'abord la lanterne, et se mettent ensuite à l'oeuvre; ainsi chez les pécheurs procède la raison égarée.:La raison est, en effet, chez nous une lampe toujours allumée. Mais si l'esprit de fornication, dans une irruption violente, a éteint cette flamme, aussitôt il met l'âme dans les ténèbres, l'attaque et dévaste tout en elle. Car comme les nuages et le brouillard enveloppent les yeux du corps ; ainsi, quand la passion impure s'est emparée de. l'âme, elle lui ôte la faculté de prévoir, ne lui permet pas de rien voir au-delà de l'objet présent, ni le précipice, ni l'enfer, ni tant de choses effrayantes; mais tyrannisée par ces tentations, l'âme est aisément subjuguée par le péché ; il y a comme un mur sans fenêtres élevé devant elle qui ne lui laisse point parvenir le rayon de la justifie, parce que les raisonnements absurdes de la passion l'assiégent de tous, côtés ; elle n'a plus qu'un objet devant les yeux, dans l'esprit, dans la pensée, la femme publique. Et comme des aveugles, debout, en plein air et à midi, ne reçoivent point la lumière du soleil, puisque leurs yeux sont fumés; ainsi les malheureux, en proie à cette maladie; ferment leurs oreilles aux nombreux; (364) et salutaires enseignements qui retentissent autour d'eux. Ceux-là le savent qui en ont fait l'expérience. Et à Dieu ne plaise qu'aucun (le vous l'ait faite ! Et ce que nous disons ici ne s'applique pas seulement à ce genre de péché, mais à toute affection désordonnée. — Transportons, si vous le voulez, la question de la femme publique à l'argent, et nous retrouverons encore d'épaisses ténèbres. — Là, comme l'amour se concentre sur une seule personne et sur un seul lieu, la passion est moins violente; mais ici, comme l'argent se. fait voir de toutes parts, dans les hôtels de monnaie, dans les hôtelleries, dans les boutiques d'orfèvres, dans les maisons des riches, le souffle de la passion est violent. Quand l'homme atteint de cette maladie voit des domestiques écarter la foule sur les places publiques, des chevaux aux harnais dorés, des hommes magnifiquement vêtus, il se trouve enveloppé de profondes ténèbres. Mais à quoi bon parler de palais et d'hôtels de monnaie? Pour moi, je suis convaincu qu'à voir seulement la richesse en peinture ou en image, ces hommes sont déchirés, saisis de fureur et de rage; en sorte que la nuit les; assiége partout. S'ils jettent les yeux sur la statue d'un roi, ils n'admirent pas la beauté des pierres précieuses, ni l'or, ni le manteau de pourpre, mais ils sèchent d’envie. Et gomme ce malheureux amant, en présence du portrait de sa maîtresse, reste cloué à cet objet inanimé ; ainsi l'homme dont nous parlons, devant le tableau inanimé de la richesse,. éprouve un tourment semblable, plus grand même, parce que sa maladie est plus tyrannique; et il est réduit ou à rester chez lui, ou, s'il paraît en public, à rentrer percé de mille coups, à raison de la multitude des objets qui ont blessé ses yeux.
Et comme l'impudique ne voit rien autre chose que la femme objet de sa passion, ainsi l'ami des richesses perd de vue les pauvres et toute autre chose, même ce qui pourrait le soulager : mais son regard, sans cesse fixé sur les riches, puisé dans ce spectacle un grand feu qui s'introduit dans son âme. Car c'est un Véritable feu qui l'envahit et le consume; et quand même il ne serait pas arénacé de l'enfer et de supplice, son état présent lui serait un supplice, à savoir ces tortures continuelles et cette maladie sans fin. Cela seul devrait guérir d'un tel mal; mais il n'y a rien de pire que la folie qui s'attache à des objets qui font souffrir sans apporter aucun profit. C'est pourquoi je vous exhorte à couper ce mal dès le début. Comme la fièvre qui commence ne procure pas d'abord une soif bien brûlante, mais quand elle a grandi et allumé le feu, elle en cause une qui ne peut plus s'éteindre, en sorte que la boisson la plus abondante ne saurait l'étancher, et ne fait qu'attiser la fournaise; ainsi arrive-t-il dans cette passion : si nous ne l'arrêtons pas dès le principe, si nous ne lui fermons pas la porte de notre âme, une fois entrée, elle nous donnera une maladie qui ne pourra plus se guérir. Car le bien et le mal se fortifient en nous par la durée.
