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Il fait là le plus bel éloge de cet Aristarque, qui avait été amené avec lui de Jérusalem. Le langage de Paul surpasse celui des prophètes. Les prophètes s'appellent des hôtes, des étrangers, des voyageurs; Paul s'honore du nom de captif. Car c'était comme captif qu'il était promené çà et là et qu'il se voyait exposé à tous les outrages; il était même plus maltraité que les prophètes. Les prophètes une fois pris par les ennemis recevaient du moins les soins que l'on donne à des esclaves que l'on regarde comme sa propriété; mais lui, tout le monde le traitait en ennemi, on le frappait à coups de fouets et à coups de verges; on l'accablait d'insultes, on le calomniait. C'était là une consolation pour ses auditeurs; car lorsque le maître est persécuté comme eux, c'est un sujet, de consolation pour les disciples. — «Aussi bien que Marc, cousin de Barnabé». Cette parenté est, pour Marc, une recommandation ; car c'était un grand homme que Barnabé. « Au sujet duquel on vous a écrit : s'il vient chez vous, recevez-le bien». Ils l'auraient certainement bien reçu, sans cette recommandation. Mais Paul veut dire qu'il faut l'accueillir avec un zèle empressé, comme on accueille un homme supérieur. Qui avait écrit? il ne le dit pas. — «Jésus aussi, appelé le juste, vous salue ». Ce Jésus était peut-être de Corinthe. Puis il enveloppe dans un commun éloge tous ces hommes dont il a déjà fait l'éloge en particulier. « Ils sont du nombre des fidèles circoncis. Ce sont les seuls qui travaillent maintenant avec moi, pour avancer le royaume de Dieu, et qui ont été ma consolation ». Il a, tout à l'heure, parlé d'un « compagnon de captivité ». Mais, pour ne pas abattre ses auditeurs, voyez comme il relève leur courage, en disant : « Ils travaillent avec moi pour le royaume de Dieu »; c'est-à-dire, ils ont partagé mes épreuves, ils partagent mon oeuvre glorieuse. « Ils ont été ma consolation ». Ils sont bien grands, puisqu'ils ont été les consolateurs de saint Paul. Mais remarquons la prudence de Paul : « Conduisez-vous avec sagesse envers ceux qui sont au dehors, en rachetant le temps »; c'est-à-dire, le temps d'aujourd'hui, c'est leur temps à eux; le vôtre n'est pas encore venu : ne vous arrogez donc pas la souveraineté et l'autorité; mais rachetez le temps. Il n'a pas dit: « Achetez », mais « rachetez le temps».
Soyez dans ces dispositions, et, par là, faites en sorte que ce temps soit aussi le vôtre. Ce serait, en effet, de notre part le comble de la démence d'imaginer des prétextes de guerres et de discordes. Outre les périls inutiles et sans profit que nous aurions à braver, nous aurions le malheur d'éloigner de nous les gentils. Au milieu de nos frères, nous marchons avec assurance; il n'en est pas de même, quand nous nous trouvons avec les gentils. Voilà pourquoi Paul écrivait à Timothée : « Il faut que ceux du dehors portent aussi sur vous un bon témoignage». (I Tim. III, 7.) Et il dit encore : « Il ne m'importe pas de juger ceux qui sont au dehors ». (I Cor. V, 12.) « Conduisez-vous», dit-il, « avec sagesse envers ceux qui sont au dehors ». Les gentils, en effet, tout en habitant le même monde que nous, sont en dehors de l'Eglise; ils sont en dehors du royaume et de la maison de notre Père. Il console en même temps ses auditeurs, en (165) donnant aux gentils le nom d'étrangers. N'a-t-il pas dit plus haut: « Votre vie, à vous, est cachée en Dieu avec Jésus-Christ? » Quand il paraîtra, cherchez la gloire, les honneurs et tous les biens. Mais ne cherchez rien de tout cela, pour le moment; laissez tout cela aux gentils. Puis, pour qu'on n'aille point penser que saint Paul veut leur parler de la richesse, il ajoute : « Que votre entretien, toujours accompagné d'une grâce édifiante, soit assaisonné du sel de la discrétion, en sorte que vous sachiez comment vous devez répondre à chaque personne ». Il ne veut pas dire par là que vos paroles doivent être pleines d'hypocrisie, car l’hypocrisie n'est pas de l'aménité; elle ne peut pas non plus servir d'assaisonnement à un entretien. Mais ne vous refusez pas à rendre hommage à qui de droit, si cet hommage est sans péril. Si les circonstances vous permettent de parler avec douceur, ne prenez pas cette douceur de langage pour de la flatterie. Rendez aux princes du monde tous les hommages possibles, pourvu que la religion n'en souffre pas. Ne voyez-vous pas Daniel honorer un impie? Ne voyez-vous pas la sage conduite de ces trois jeunes hommes qui se présentent au roi, en déployant une franchise et un courage qui n'ont cependant rien d'âpre ni de téméraire? Car l'âpreté et la témérité n'ont rien de commun avec la franchise, avec une noble assurance; ce n'est que vanité.
« Afin que vous sachiez», dit l'apôtre, «comment vous devez répondre à chacun». C'est qu'il ne faut pas parler à un prince comme à un sujet, à un riche comme à un pauvre. Pourquoi? Parce que les princes et les riches, nageant dans la prospérité, ont l'âme faible et gonflée d'orgueil, ce qui nous oblige à nous incliner devant eux et à nous plier à leurs caprices. Les pauvres, au contraire, et ceux qui sont soumis à une puissance quelconque, sont plus forts et plus sages, ce qui fait qu'on peut leur parler avec plus de franchise, en ne s'attachant qu'à une chose, à rendre sa parole édifiante. Ce n'est point parce que l'un est riche et l'autre pauvre que vous rendez plus d'honneurs à l'un qu'à l'autre; c'est à cause de sa faiblesse, que l'un se trouve élevé plus que l'autre... N'allez donc pas, sans motif, traiter un gentil d'homme abominable et l'aborder, l'insulte à la bouche. Mais, si l'on vous demande votre avis sur ses croyances, dites ,'que vous les trouvez abominables et impies.
Si l'on ne vous interroge pas, si l'on ne vous force pas à parler, ne vous faites pas à la légère un ennemi. A quoi bon, en effet, soulever, sans aucun profit, des haines contre soi? Cherchez-vous à instruire un auditeur sur la religion? dites ce que le sujet vous force à dire, et rien autre chose. Si votre parole est assaisonnée du sel de la discrétion, en tombant dans une âme énervée, elle la guérira de sa mollesse; en tombant dans une âme rebelle, elle en adoucira les aspérités. Ne choquez pas les oreilles de vos auditeurs, soyez agréable, sans mollesse; joignez le charme du langage à la gravité. Soyez agréable, sans être importun; point de fadeur, mais un style grave et charmant tout à la fois. Un langage trop austère fait plus de mal que de bien; un langage trop plein d'agréments cause plus d'ennui que de plaisir. Il faut de la mesure en tout. Ne vous montrez pas triste et farouche; c'est le moyen de déplaire. Ne soyez pas diffus et mou; c'est le moyen d'encourir le mépris. Prenez ce qu'il y a de bon dans chaque genre, en évitant les excès; faites comme l'abeille qui, en butinant . les fleurs, puise dans ce calice des sucs doux, et dans cet autre des sucs sévères. Le médecin n'emploie pas indifféremment toutes sortes de matières; il en est de même à plus forte raison du maître; que dis-je? les remèdes dangereux sont moins nuisibles au corps, que certaines paroles ne le sont à l'âme. Un gentil vient à vous, par exemple, et il devient votre ami. Ne lui parlez de religion que lorsqu'il est devenu votre ami intime et, même alors, n'entamez ce chapitre que peu à peu.
