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En voyant l'admiration et le culte que la plupart des hommes ont voués aux faux biens, et l'indifférence qu'ils montrent pour les biens véritables, je n'ai pu m'empêcher d'écrire quelque chose sur ce sujet. Je veux comparer ici ce qui fait l'objet de leur mépris avec ce qui fait l'objet de leur estime, afin que, le contraste faisant briller la vérité, ils reconnaissent leur erreur et qu'ils apprennent à estimer ce qui est estimable, et à mépriser ce qui est méprisable.
Les biens que l'on envie sont la richesse, les dignités, la puissance, la gloire; les heureux, au jugement de la multitude, sont les chefs des peuples, ceux qui passent au milieu de la foule traînés sur un char superbe, précédés des cris des hérauts, entourés d'une escorte nombreuse. Ce que l'on méprise, c'est la vie simple des sages et des solitaires. Les grands de la terre paraissent-ils en public, le peuple court après eux pour les voir. Un ermite vient à passer, qui est-ce qui s'en aperçoit? personne, ou presque personne. Encore si on le regarde, c'est par. pure curiosité; nul n'envie le sort de ce pauvre anachorète, tandis que tout le monde envie la destinée des potentats. Cependant devenir chef de nations, gouverneur de province, n'est pas une chose qui soit facile, ni à la portée de tous: le pouvoir ne se donne pas, et il faut beaucoup d'or à ceux qui le convoitent pour arriver au but de leur ambition. Au contraire embrasser la vie monastique et se vouer au service de Dieu est la chose du monde la plus aisée, la plus facile. D'ailleurs il faut quitter le pouvoir avec la vie, ou plutôt le pouvoir abandonne les ambitieux avant que la mort vienne le leur arracher; il y en a même qu'il expose à un danger très-grand ou bien à l'ignominie. Mais la vie monastique comble de biens les justes qui la suivent, et quand ils ont accompli leur course ici-bas, elle les conduit tous rayonnants de joie et d'espérance devant le tribunal de leur Dieu et Père, tandis que la plupart de ceux qui ont été revêtus de la puissance sur la terre paraissent couverts de leurs crimes devant ce même tribunal, et viennent entendre leur condamnation.
Comparons donc les uns aux autres et les avantages de la perfection chrétienne, et les prétendus biens que procurent en cette vie la puissance et la gloire, et apprenons à en connaître la différence; rien ne fera mieux ressortir la valeur intime des uns et des autres qu'un parallèle. Ou plutôt , si vous le voulez, comparons le faîte même des grandeurs , la royauté, avec la vie monastique, et voyons les avantages des deux conditions. Le prince commande aux villes, aux pays, à des peuples nombreux; d'un signe il ébranle et généraux et préfets, armées, peuples et sénats. Celui qui s'est donné à Dieu et qui a choisi la vie monastique , commande à la colère, à l'envie, à l'avarice, au plaisir et à tous les autres vices; il examine et médite sans cesse les moyens de ne point laisser subjuguer son âme par les passions honteuses, ni asservir sa raison par une insupportable tyrannie, mais d'avoir toujours l'esprit au-dessus de tout cela, s'armant de la crainte de Dieu pour vaincre toutes les passions. Voilà quelle puissance, quelle autorité exercent, le roi d'une part, de l'autre le moine; tellement qu'on aurait plus de raison de donner le titre de roi à ce dernier qu'à celui qu'on voit briller sous la pourpre et le diadème, et s'asseoir sur un trône d'or.
