4.
Examinons maintenant en quoi consistent les bienfaits d'un solitaire, en quoi consistent les bienfaits d'un monarque. Celui-ci répand l'or autour de lui, celui-là les dons de l'Esprit-Saint. L'un fait cesser la pauvreté, l'autre met en liberté par ses prières les âmes tyrannisées par les démons. Le malheureux que tourmente l'esprit malin court, sans s'arrêter au palais du roi, se réfugier dans la cellule du solitaire, comme celui qui, poursuivi par une bête féroce, vient se mettre sous la protection du chasseur armé; la prière est pour le moine ce qu'est une épée dans la main du chasseur. Encore l'épée est-elle moins redoutée des bêtes féroces, que la prière du juste ne l'est des démons. Ce n'est pas seulement nous, le commun des hommes, qui nous réfugions vers l'humble serviteur de Dieu, dans nos nécessités; les rois eux-mêmes, dans leurs jours d'affliction, ont recours à lui : ils entourent sa demeure comme des mendiants affamés entourent celle du riche. Achab, roi d'Israël, dans un temps de disette et de famine, ne mit-il pas toute son espérance dans les prières d'Elie? Ezéchias, roi de Juda, étant malade et sur le point de mourir, et voyant déjà la mort à son chevet, n'eut-il pas recours au prophète comme à un homme plus puissant que la mort et qui pouvait lui rendre la santé ? Et quand le royaume de Palestine, ébranlé par la guerre, courait le danger d'être renversé de fond en comble, les rois de cette contrée renvoyaient leurs troupes, leurs fantassins, leurs archers, leurs cavaliers, leurs généraux et leurs centurions pour aller implorer le secours des prières d'Elisée. Ils savaient que la protection du serviteur de Dieu valait mieux que des milliers d'hommes. C'est encore le moyen qu'employa Ezéchias menacé par les Assyriens ; la ville de Jérusalem penchait déjà, elle allait tomber ; ses défenseurs se tenaient consternés et tremblants sur ses murailles; ils frémissaient comme on frémit dans l'attente du tonnerre ou d'un tremblement de terre universel. Aux innombrables myriades de ses ennemis, Ezéchias n'opposa que les prières d'Isaïe, et il ne fut pas trompé dans son espérance. Le prophète leva les mains au ciel, et soudain Dieu lança les traits de sa colère contre l'armée assyrienne qui fut entièrement détruite, apprenant ainsi aux rois qu'ils doivent regarder ses serviteurs comme les sauveurs de la terre, à respecter les sages conseils et les salutaires avertissements des justes qui les exhortent à la vertu.
Un autre point de vue va nous découvrir de nouvelles différences : je suppose que tous les deux sont tombés, l'un du haut de son trône, l'autre du haut, de sa vertu. Le sage se relève facilement, il efface ses péchés par la prière, les larmes, la contrition, le service des pauvres , et il redevient ce qu'il était avant sa chute. Pour reprendre son sceptre, le monarque déchu a besoin que des alliés lui prêtent de grands secours en hommes et en argent; il a mille dangers à courir; tout son espoir est dans la pitié des étrangers; le solitaire, sans sortir de lui-même, trouve son salut dans sa bonne volonté, dans son zèle, dans le changement de son coeur. Le royaume des cieux est à vous, dit le Seigneur. (Luc. XVII, 21.)
Le roi craint la mort, le religieux la voit venir sans peur. Le mépris qu'il a pour les richesses, les voluptés, les délices, toutes choses qui attachent à la vie le commun des hommes, lui rend son départ de ce monde facile à effectuer. S'il arrive que l'un et l'autre périssent par le glaive, le moine donne sa vie pour la religion, il achète par sa mort une vie immortelle dans le ciel; le roi est égorgé par quelque ambitieux prétendant, avide de régner à sa place, et n'offre après sa mort qu'un spectacle de compassion et d'effroi. Au contraire, quel spectacle agréable et salutaire que de voir un homme immolé pour sa foi. Le solitaire ne craint point ceux qui l'entourent, nul ne prétend à sa couronne que ses émules et ses disciples, et ils ne demandent qu'à la partager avec lui. Le monarque est sans cesse en alarme, il n'y a pas de prières qu'il n'adresse à Dieu pour obtenir que personne ne se présente pour le détrôner. La crainte d'offenser Dieu retient encore le bras de ceux qui pourraient tuer le religieux; l'ambition de régner suscite au roi des milliers d'assassins; voyez comme il s'entoure de soldats armés, tandis que sans rien craindre pour lui-même, le solitaire forme de ses prières comme un rempart aux cités; le roi voit sans cesse un glaive qui menace sa tête, sa vie n'est qu'une crainte continuelle de la mort : il porte au dedans de lui une cupidité qui fait son péril et son tourment; l'espérance du salut remplit l'âme du religieux d'une sécurité, d'une joie inaltérables. Voilà pour les différences relatives à la vie présente.
Voulez-vous jeter un regard sur la lutte dernière, sur l'épreuve suprême? Nous verrons le sage s'élever triomphant et radieux dans les nuées du ciel à la rencontre de Jésus-Christ, à l'exemple de ce divin chef, le guide du salut, le législateur de la sainteté. Le monarque, si, chose rare, il a fait régner avec lui sur le trône la justice et l'humanité, sera sauvé sans doute, mais sauvé avec infiniment moins d'honneur et de gloire que celui qui a voué sa vie entière au service de Dieu. S'il n'a été qu'un tyran cruel, un fléau pour le monde, qui pourrait dire les tourments auxquels il sera condamné par le Souverain juge? Il sera brûlé dans le feu, flagellé, torturé, ses peines seront aussi insupportables qu'indescriptibles. Méditons donc toutes ces vérités, pénétrons-nous-en et apprenons à ne plus admirer les riches, puisque le riche par excellence, le roi, ne saurait approcher du mérite d'un humble solitaire. Quand vous voyez passer un homme opulent, magnifiquement vêtu, tout étincelant d'or et pompeusement traîné sur un char superbe, ne dites point : cet homme est heureux. La richesse n'est qu'un bien apparent et passager; elle. est fugitive comme la vie. Mais quand vous verrez passer un solitaire au maintien modeste et recueilli , à l'air bienveillant et doux, enviez le sort de cet homme, faites-vous l'imitateur de sa sagesse et souhaitez de ressembler à ce juste : Demandez, dit le Seigneur,et vous recevrez. (Matth. VII, 7.) Voilà les véritables biens, voilà ce qui sauve, voilà ce qui dure, et ce que nous devons à la bonté et à la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient la gloire et l'honneur dans les siècles des siècles. Amen.
