13.
Poursuivons notre discours. Il faut que le prince sorte de son palais, qu’il aille, en quittant ses amis, se mêler aux soldats, qui sont, eux aussi, à un moindre degré, des amis. Il doit descendre dans la plaine, tout inspecter par lui-même, hommes, chevaux, équipements; il doit se livrer à l’équitation avec le cavalier, à la course avec le fantassin, partager les exercices de l’hoplite pesamment armé, du peltaste armé à la légère, lancer la flèche avec l’archer. En s’associant à leurs occupations, il leur inspire un vif attachement; s’il les appelle ses compagnons, ce n’est pas une vaine manière de parler ; et, quand il leur donne ce nom dans ses harangues, ils sont là pour attester que c’est l’expression même de la vérité. Tu écoutes peut-être avec impatience l’énumération des labeurs que je réclame de toi ; mais, crois-moi, la fatigue n’a pas de prise sur un roi: quand on a de nombreux témoins de ses fatigues on devient infatigable. Un roi ne peut s’endurcir aux rudes travaux, vivre au grand air, s’exercer au maniement des armes, sans être en spectacle à ses peuples ; tous les yeux se tournent vers lui, on ne peut se lasser de le contempler; au loin, si on ne le voit pas, on l’entend célébrer. C’est ainsi qu’en se montrant souvent aux regards de ses soldats, le roi fait naître dans leurs cœurs une profonde affection pour sa personne. Et quel empire est plus solide que celui qui est défendu par l’amour de tous? Quel particulier, dans une humble condition, est plus en sûreté contre les embûches qu’un prince qui n’est un objet de crainte pour personne, mais pour qui tout le monde a des craintes? Le soldat est naturellement simple, ouvert; il se livre aisément à ceux qui vivent avec lui. Platon donne à ceux qu’il destine au métier des armes le nom de gardiens, et il les compare au chien,1 c’est-à-dire à l’animal qui sait le mieux discerner les amis ou les ennemis. Quoi de plus méprisable qu’un roi qui ne serait connu de ses défenseurs mêmes que par ses portraits?
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République, II. ↩