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Tu connais sans doute un autre fait encore plus récent; car il est impossible que tu n’aies pas entendu parler de cet empereur qui, s’exposant lui-même, alla, sous les dehors d’un ambassadeur, explorer le pays ennemi.1 Commander aux villes et aux armées, c’était remplir une dure fonction: aussi vit-on plus d’une fois refuser une souveraineté aussi laborieuse. Un prince,2 après avoir régné de longues années, abdiqua, pour jouir au moins dans sa vieillesse des loisirs de la vie privée. Ce titre de roi, il n’y a pas longtemps que nous l’avons fait revivre; il était tombé en désuétude à Rome depuis l’expulsion des Tarquins. Maintenant, en vous parlant et en vous écrivant, nous vous qualifions de rois. Mais vous, soit avec intention, soit tout simplement par habitude, vous semblez repousser cette dénomination comme trop orgueilleuse. Jamais, dans les lettres que vous adressez à une cité, à un simple particulier, à un gouverneur de province, à un prince barbare, vous ne vous parez du nom de rois, vous ne vous appelez qu’empereurs. Empereur est le terme qui désigne un chef militaire, revêtu de pleins pouvoirs. C’est en qualité d’empereurs qu’Iphicrate et Périclès commandaient les flottes qui partaient d’Athènes. Ce titre n’avait rien qui pût choquer un peuple libre; car c’était le peuple même qui conférait par ses suffrages cette légitime autorité. Un des magistrats d’Athènes s’appelait roi; mais il n’avait que des attributions limitées et inférieures;3 c’est par une sorte d’ironie qu’il recevait ce nom dans une république qui ne connaissait aucun maître. Empereur, eux, ne signifiait pas souverain; mais la chose, comme le nom, était ce qu’il y avait de plus élevé. Eh! veut-on un témoignage évident de la sagesse des Romains? La monarchie, qui s’est établie chez eux, a tellement en aversion les maux enfantés par la tyrannie, qu’elle s’abstient, qu’elle se fait scrupule de prendre le nom de royauté. La tyrannie fait détester la monarchie, mais la royauté la fait aimer. La royauté! Platon l’appelle un bien vraiment divin, donné aux hommes.4 Mais le même Platon dit aussi que la simplicité convient à tout ce qui est divin.5 Dieu n’agit pas d’une manière théâtrale, il n’étonne pas par des prodiges; mais par
………………………….ses conseils secrets
Il sait, comme il convient, régler nos intérêts.6
Toujours et partout il est prêt à se révéler à l’âme digne de le recevoir. J’estime donc que le roi doit se montrer simple et bienveillant pour tous. Les tyrans, pour mieux frapper les esprits, aiment à s’envelopper de mystère ou à n’apparaître qu’avec une pompe saisissante. N’est-il pas naturel qu’ils tâchent de se donner une majesté d’emprunt, à défaut de la vraie? Quand on ne possède en soi rien de bon, et qu’on le sait, on sent le besoin de se soustraire à la lumière pour se soustraire au mépris. Mais personne jamais n’a songé à dédaigner le soleil; et pourtant ne se montre-t-il pas tous les jours? Un roi qui ne craint pas qu’on puisse le trouver indigne de ce titre doit se montrer à tous; il ne fera par là qu’ajouter à l’admiration qu’il inspire. Agésilas, ce roi dont Xénophon fait un si grand éloge, était boiteux; jamais nul ne pensa à rire de lui, ni parmi ses soldats, ni chez les alliés, ni chez les ennemis; et pourtant, dans les villes où il s’arrêtait, on le voyait sur les places publiques; il vivait sous les yeux de ceux qui voulaient connaître le générai des Spartiates. Pénétrant en Asie à la tête d’une faible armée, pour aller combattre un roi qu’adoraient des populations innombrables, il faillit abattre son trône; il abattit du moins son orgueil. Lorsqu’il dut, rappelé par les magistrats de la cité, renoncer à poursuivre ses succès en Asie, il remporta de nombreuses victoires en Grèce; et le seul qui vainquit Agésilas sur les champs de bataille fut le seul qui pouvait l’emporter sur lui en simplicité : c’était cet Épaminondas qui, ne pouvant, en sa qualité de général, se dispenser, sans exciter le mécontentement, d’assister aux banquets où l’invitaient les villes, n’y buvait que d’une aigre piquette. « Il ne faut pas, disait-il, qu’Épaminondas oublie ses habitudes domestiques. » Un jeune Athénien riait en regardant son épée dont la poignée n’était qu’en bois grossièrement travaillé. « Quand nous combattrons, dit Épaminondas, ce n’est pas la poignée que tu sentiras, mais le fer, et tu seras bien forcé de reconnaître qu’il est d’assez bonne qualité ».
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Synésius désigne sans doute Galère, qui, rapporte Eutrope, alla, avec deux ou trois cavaliers, explorer le pays ennemi, dans une guerre contre les Perses. ↩
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Dioclétien, qui abdiqua en 305. ↩
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Synésius exagère l’infériorité des fonctions de l’archonte-roi, qui présidait aux affaires de la religion. ↩
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Le Politique, vers la fin. ↩
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Phèdre, au commencement. ↩
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Euripide, Les Troyennes, 897. ↩