XXIII.
Il existe encore un subterfuge de celle nature, en parole ou en action, subtil et fatal des deux côtés, quoiqu'on le tienne pour innocent, dans l'un ou l'autre cas, parce que l'action n'est pas visible, ni la parole entendue. Quelques-uns empruntant sur gages de l'argent aux païens, se taisent en souscrivant la formule d'engagement, et s'autorisent de là pour prétexter ignorance. A quelle époque, demandent-ils, sera jugée cette affaire? devant quel tribunal? par quel juge? Le Christ l'a déterminé d'avance: « Tu ne jureras point. » ---- J'ai écrit, dit-on, mais je n'ai proféré aucune parole. ---- C'est la langue et non la lettre qui tue. Ici j'en appelle à la nature et à la conscience; à la nature: la main peut-elle écrire sans que l'aine dicte les paroles, quand même la langue, en les dictant, demeurerait muette et immobile, et cela, soit que l'ame dicte à la langue ses propres pensées ou les pensées d'un autre? Qu'on ne vienne donc plus nous dire: Un autre a dicté. Ici j'invoque encore la conscience: l'ame accepte-t-elle, oui ou non, les paroles qu'un autre a dictées, pour les transmettre à la main, soit que l'ame les accompagne, soit qu'elle se taise? Heureusement, le Seigneur a déclaré «que le péché se consommait par l'intention au fond du cœur. Si la concupiscence ou la malice, dit-il, monte dans le cœur de l'homme, le péché est commis. » Tu as dissimulé, ton cœur t'en a pleinement averti; tu ne peux donc prétexter ni l'ignorance, ni le défaut de volonté. Eu effet, puisque tu dissimulais, tu l'as su; puisque tu le savais, tu l'as voulu: tu es donc coupable de pensée comme d'action. Impossible d'échapper à une faute légère par une plus grande, en disant que le crime que je t'impute par ta dissimulation est imaginaire, ce que tu ne fais pas.
----- Je n'ai pas renié, dis-tu, puisque je n'ai pas juré. ----illusion! quand bien même tu n'aurais fait ni l'un ni l'autre, tu t'es parjuré néanmoins, puisque tu as consenti. N'est-ce point parler que d'écrire? n'y a-t-il pas un son muet dans les caractères! En effet, Zacharie privé pour un temps de l'usage de la voix, s'entretient avec sou ame, triomphe de l'embarras de sa langue, dicte à ses mains ce qu'a résolu son cœur, prononce sans le secours des lèvres le nom de son fils, parle avec le stylet, et sa main se fait entendre sur la tablette de circ en caractères plus lumineux que tous les sons, plus sonores que toutes les syllabes. Demande-moi encore s'il a parlé, celui dont le langage fut si bien compris! Prions le Seigneur d'éloigner toujours de nous la nécessité de pareils contrats; s'il en décide autrement, qu'il accorde à nos frères la grâce de travailler pour vivre, et à nous le courage de briser toutes ces nécessités, de peur que ces lettres impies, qui ont remplacé notre bouche pour renier Dieu, ne s'élèvent contre nous au jour du jugement, marquées du sceau, non plus des avocats, mais des anges.
