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Cependant, devant les yeux de tous ces hommes, qui se portent, de quelque manière que ce soit, vers le séjour de la vie bienheureuse, se dresse une montagne gigantesque située devant le port même. A ceux qui entrent dans ce port, elle ne laisse qu'un passage très étroit; elle doit leur inspirer la plus vive terreur et il faut qu'ils l'évitent avec la plus grande précaution. Car cette montagne est si brillante, elle est revêtue d'un éclat si mensonger que ce n'est pas seulement à ceux qui arrivent, à ceux qui ne sont pas encore entrés dans le port qu'elle s'offre pour demeure, en leur promettant de satisfaire leurs voeux et de remplacer pour eux la terre bienheureuse. Mais le plus souvent au port même, les hommes sont l'objet de ses séductions et quelquefois elle les retient par l'attrait de ce sommet élevé, d'où ils pourront voir à leurs pieds les autres hommes. Pourtant ils avertissent plus d'une fois les nouveaux arrivants de se défier des écueils cachés au pied de ce mont, et de ne pas croire qu'il soit facile de s'élever jusqu'à eux. Ils leur montrent, avec une bienveillance extrême, le lieu où ils peuvent aborder sans péril; car la terre bienheureuse est proche. Ainsi, tout en leur refusant une gloire des plus vaines, dont ils sont eux-mêmes jaloux , ils leur indiquent l'asile de la sécurité. En effet, si l'on consulte la raison, qu'est-ce que ce mont si redoutable à ceux qui approchent de la philosophie, ou qui y abordent, si ce n'est l'amour orgueilleux d'une vaine gloire? Loin d'offrir rien de substantiel ou de solide, il s'écroule sous les pas de ces hommes superbes qui en ont atteint le sommet , pour les laisser tomber dans un gouffre dévorant et pour leur dérober au milieu des ténèbres dans lesquelles ils retombent, cette demeure éclatante qu'ils avaient été sur le point d'apercevoir.
