CHAPITRE X. IMPORTANCE DE LA CLARTÉ DANS LE DISCOURS.
24. L'orateur qui s'attache à la clarté dans le discours, laissera parfois de côté une expression plus choisie et plus harmonieuse, pour prendre celle qui rend plus nettement sa pensée. Ce qui a fait dire à un écrivain, parlant de ce genre de style, qu'il se distinguait par une certaine négligence très soignée 1. Mais s'il rejette les ornements, ce n'est pas pour devenir bas et rampant. Telle doit être l'application d'un sage docteur à bien instruire, qu'il préfère à une expression plus obscure et ambiguë, par cela même qu'elle est plus latine et savante, une expression familière, qui sur les lèvres du vulgaire présente un sens clair et déterminé. Ainsi l'interprète sacré n'as pas craint de traduire : « Non congregabo conventicula eorum de sauguinibus ; je ne serai point l'auteur de ces assemblées où ils se réunissent pour répandre les sangs des victimes 2»; parce qu'il a jugé, dans l'intérêt de la pensée, devoir mettre au pluriel, en cette circonstances, le mot sanguis, qui en latin ne s'emploie qu'au singulier. Et pourquoi un docteur chrétien, s'adressant à des ignorants, ferait-il difficulté de dire ossum pour os, dans la crainte que cette syllabe ne soit prise pour celle qui , au pluriel, fait ora, bouche ; et non ossa, os; surtout quand on parle à des oreilles africaines ne sachant distinguer si une syllabe est longue ou brève ? A quoi sert la pureté d'un terme, s'il n'est compris de celui qui l'entend? Et à quoi bon parler, si celui à qui on s'adresse pour se faire comprendre, ne comprend pas? Si vous voulez instruire, rejetez tous les mots qui n'instruisent pas. Choisissez de préférence, quand vous le pouvez, les expressions pures, faciles à saisir; et si,vous ne le pouvez, parce que ces expressions manquent, ou qu'elles ne s'offrent pas à votre esprit, servez vous d'autres moins correctes, pourvu qu'elles soient propres à transmettre clairement votre pensée.
25. C'est, non seulement dans les conférences entre deux ou plusieurs personnes, mais surtout dans les discours adressés au peuple, qu'il faut s'attacher à se rendre intelligible. Dans une conférence, on peut adresser des questions; mais dans une assemblée où un seul se fait entendre, pendant que de toutes parts les yeux sont fixés sur lui en silence, il est contraire à l'usage et à la bienséance de se faire expliquer ce que l'on n'a pas compris. C'est pourquoi l'orateur doit avoir grand égard à ce silence obligatoire de l'auditeur. Ordinairement dans un auditoire animé du désir d'être éclairé, il se produit un certain mouvement qui indique qu'il a compris; jusque là, il faut retourner son sujet sous différentes formes, faculté que n'a pas celui qui prononce un discours préparé et appris mot à mot. Une fois certain qu'on a été compris, on doit,terminer ou passer à un autre sujet. Si on plaît en mettant la vérité en lumière, on devient insipide en s'arrêtant à une question désormais bien connue, et dont l'auditeur n'attendait que la solution. On peut plaire aussi sans doute en parlant de choses connues, quand on s'attache moins à la pensée qu'à la forme dont on la revêt. Si la forme, sans être nouvelle pour l'auditeur, le charme toujours, elle l'impressionne presqu'autant dans la bouche d'un lecteur que dans celle d'un orateur. Car quand un sujet est traité avec talent, non seulement on le lit une première fois avec plaisir, mais encore on le relit avec satisfaction dans la suite, si on n'en a pas perdu tout souvenir, et tous l'écoutent volontiers. Raviver la mémoire d'une chose oubliée, c'est en instruire de nouveau. Mais je ne parle pas ici de la manière de plaire, je parle de la manière d'instruire ceux qui ont le désir de l'être, et le moyen par excellence est de ne présenter que la vérité, et de la rendre intelligible à l'auditeur. Une fois ce but atteint, inutile de s'arrêter plus longtemps à la démontrer: mais, s'il est nécessaire, qu'on en fasse ressortir l'importance, pour la graver vivement dans le coeur, et cela brièvement, pour prévenir l'ennui.