9.
« Ils habiteront comme étrangers, et ils se cacheront1 ». Habiter un pays comme étranger, c’est voyager hors de son propre pays; ceux qu’on nomme habitants étrangers, demeurent dans un pays qui n’est pas le leur. Tout homme est, ici-bas, un voyageur en pays étranger; vous nous y voyez, parce que nous sommes entièrement couverts de chair ; mais cette enveloppe charnelle vous empêche d’apercevoir le fond de nos coeurs. Voilà pourquoi l’Apôtre a dit: « Ne jugez pas avant le temps, jusqu’à ce que vienne le Seigneur qui éclairera les ténèbres les plus secrètes, et qui fera voir à découvert les pensées du coeur; et, alors, chacun recevra de Dieu sa gloire et sa récompense2 ». En attendant ce grand jour, pendant le cours de ce pèlerinage terrestre, chacun de nous porte son coeur en lui-même, et tous les coeurs sont un livre fermé pour tous les autres. Par conséquent, « ils habiteront comme des étrangers et ils se cacheront » ceux dont les desseins sont méchants à l’égard du juste qu’ils persécutent. Ils voyagent en ce lieu d’exil; ils y sont revêtus de chair; aussi cachent-ils leur fourberie dans le secret de leur coeur; ils y renferment toutes leurs pensées mauvaises. Pourquoi? Parce que cette vie est un voyage en pays étranger. Qu’ils mettent tous leurs soins à déguiser leurs pensées; un jour viendra où ce qu’ils cachent sera étalé aux regardé de tous, où ils ne pourront plus se cacher eux-mêmes.
On peut encore donner un autre sens à ces paroles : « Ils se cacheront». Cette seconde explication plaira peut-être davantage. Les hommes qui se sont séparés des saints, s’introduisent parfois dans leurs rangs, revêtus du manteau de l’hypocrisie, et le mal qu’ils font au corps du Christ est d’autant plus déplorable qu’on ne peut les éviter, comme s’ils lui étaient entièrement étrangers. Dans le récit de ses tribulations l’Apôtre place, au nombre de ses plus pénibles, celles qui lui sont venues des hypocrites: « Périls des eaux», dit-il; « périls des voleurs, périls du côté de ma nation, périls de la part des gentils, périls dans la ville, périls dans les déserts, périls sur mer», et il ajoute : «Périls de la part des faux frères3». Ils sont surtout à craindre, ceux dont il est dit dans un autre psaume: « Ils entraient pour voir4 ». Ils entrent pour soir, et personne ne peut leur dire : N’entre pas pour voir. Car s’il entre, c’est en qualité de frère, et non comme étranger : on ne s’en défie pas. «Ils habiteront donc comme étrangers, et ils se cacheront». Puisqu’ils entrent dans l’Eglise, comme dans une grande maison, sans intention d’y demeurer toujours, « ils y habiteront comme étrangers». Le Seigneur a voulu nous faire comprendre que de tels pécheurs sont des esclaves, car, suivant l’oracle évangélique, « celui qui commet le péché est l’esclave du péché » ; c’est pourquoi il y est dit : « Le serviteur ne demeurera pas toujours dans la maison, mais le fils y «demeurera éternellement5». Celui qui entre dans l’Eglise en qualité d’enfant, n’y restera pas comme étranger, mais il y demeurera jusqu’à la fin6. Mais celui qui y pénètre comme un esclave, comme un fourbe, comme un pécheur, qui n’obéit que sous le regard du maître, qui cherche à dérober, à accuser, à blâmer, celui-là n’y entre que comme étranger, il n’y demeurera pas d’une manière fixe et permanente. Mes frères, de pareilles gens ne doivent nous inspirer aucune crainte : « J’ai placé en Dieu mon espérance : je ne craindrai pas ce que l’homme pourra me faire». Qu’ils entrent dans notre maison, qu’ils y séjournent, qu’ils usent de dissimulation, qu’ils cachent leurs pensées, peu importe : ils ne sont que chair. Pour toi, mets tes espérances dans le Seigneur, et la chair ne sera pas capable de te faire du mal. — Mais l’homme m’accable d’afflictions, il me foule aux pieds. — . Puisque tu es raisin, si tu es écrasé, tu donneras du vin : les peines que tu auras à endurer, porteront des fruits, car un autre verra ta patience et l’imitera. Pour apprendre à supporter ceux qui te font souffrir, n’as-tu pas toi-même porté tes regards sur ton chef, sur cette première grappe de raisin, sur le Sauveur, en la compagnie de qui l’homme, c’est-à-dire, le traître Judas est entré pour voir, a établi son séjour et s’est caché? Pourquoi craindrais-tu les hypocrites, qui entrent dans l’Eglise, y demeurent et s’y cachent? Tu n’as aucun motif de le faire. Judas, le père de ces fourbes, a vécu dans la société du Sauveur, et Jésus le connaissait: Judas vivait avec lui comme fin étranger, et, quoiqu’il déguisât avec soin ses intentions perverses, les secrets de son coeur n’étaient nullement un mystère pour son maître : il fut choisi, et puisque tu devais ignorer de quels hommes il faudrait t’éloigner, le Christ a voulu te faire trouver, dans sa propre conduite, un sujet de consolation. Il aurait pu ne pas choisir Judas, car il le con naissait: n’avait-il pas dit, en effet, à ses disciples: « Est-ce que je ne vous ai pas choisis tous les douze? Et pourtant, il y en a un parmi vous qui est un démon7». De là pourrait-on inférer que le démon a été choisi? Et si Notre-Seigneur ne l’a pas choisi, comment les Apôtres se sont-ils trouvés au nombre de douze, au lieu de ne se trouver qu’au nombre de onze? Comme les autres, Judas a été choisi, mais dans un autre but. Les onze ont été choisis pour être éprouvés; Judas l’a été pour tenter. Tu devais ignorer de quels hommes méchants il faudrait t’éloigner, de quels fourbes et de quels hypocrites il te faudrait prendre garde; tu ne devais pas connaître ceux qui habiteraient avec toi comme étrangers, et te déguiseraient leurs pensées perverses : comment le Sauveur aurait-il pu te servir d’exemple, s’il ne t’avait dit : J’ai eu l’un d’entre eux en ma compagnie ; je t’ai donné d’avance un modèle en ma personne ; j’ai supporté, j’ai voulu souffrir à côté de moi un homme dont les déguisements m’étaient parfaitement connus, et, par là, te donner une consolation pour les circonstances où tu ne saurais distinguer tes ennemis? Un hypocrite m’a fait souffrir: un hypocrite agira de même à ton égard; pour être plus fort, pour te tourmenter davantage, on t’accusera, on t’imputera des crimes imaginaires; je suppose que ces calomnies prévalent contre toi : seras-tu seul victime de ces procédés coupables? N’en ai-je pas été moi-même la victime? Oui, les calomnies des méchants ont prévalu contre moi, et, toutefois, elles ne m’ont point ravi le ciel. Quoique le corps du Sauveur fût déjà enseveli, de faux témoins se présentèrent encore pour déposer contre lui : ce n’avait pas été assez, pour ses ennemis, de le calomnier devant les tribunaux; ils voulurent le flétrir encore jusque dans son tombeau. Ayant reçu de l’argent comme prix de leur mensonge, ils firent cette déposition: « Pendant que nous dormions, ses disciples sont venus et l’ont enlevé8». Il fallait vraiment que ces Juifs fussent devenus aveugles, pour croire à un témoignage aussi incroyable, pour croire au témoignage de gens endormis. Ou bien, les témoins ne dormaient pas, et alors, on ne devait pas ajouter foi à leurs paroles, puisqu’elles étaient mensongères : ou bien, ils dormaient réellement; et, alors, comment ont-ils pu voir ce qui se passait? «Ils habiteront comme des étrangers et ils se cacheront». Ils auront beau demeurer et se cacher, que pourront-ils faire? « Pour moi, j’ai mis en Dieu mon espérance: je ne craindrai point ce que l’homme pourra me faire ».
