27.
Parmi les délices spirituelles que goûtent les personnes qui ne sont pas mariées, leur vie sainte doit s'entourer de sages précautions; car il ne suffit pas qu'elles ne tombent dans aucun désordre, il leur faut encore ne compromettre leur réputation par aucune négligence. Nous entendons quelquefois des hommes vertueux et de saintes femmes, quand on leur reproche des négligences qui font naître autour d'eux quelque mauvais soupçon, répliquer que leur conscience leur suffit devant (163) Dieu , et, forts de ce principe, ils méprisent non pas seulement avec imprudence, mais avec cruauté , l'estime et les pensées des hommes: c'est tuer souvent beaucoup d'âmes; on donne aux uns occasion de blasphémer la vertu et de prendre en horreur la vie des saints, quand elle est chaste en réalité, et que leurs soupçons la leur montrent comme honteuse et criminelle; les autres s'autorisent à faire le mal en prétendant qu'ils ne font que marcher sur les traces d'autrui; ils imitent, non pas ce qu'ils voient, mais ce qu'ils pensent. Eviter dans ses oeuvres le crime et le péché, c'est travailler pour soi-même: ajouter à cela le soin de se faire une bonne réputation, c'est se rendre miséricordieux envers autrui. Ce qui nous importe à nous-mêmes, c'est notre vie; ce qui importe aux autres, c'est notre réputation; et remarquons qu'en aidant miséricordieusement au salut des autres, nous faisons une oeuvre utile pour nous-mêmes.
Ecoutons l'Apôtre : « Nous cherchons à faire le bien, non-seulement devant Dieu, mais a aussi devant les hommes1 ». Ailleurs : « Tâchez de plaire à tous et en tout comme je le fais moi-même, ne cherchant pas ce qui m'est utile à moi en particulier, mais ce qui est utile à plusieurs pour leur salut2 ». D'ans le cours d'une exhortation il s'écrie : « Enfin, mes frères, tout ce qui est véritable et sincère, tout ce qui est honnête, juste et saint, tout ce qui peut vous rendre aimables, tout ce qui est d'édification et de bonne réputation, tout ce qui est vertueux et louable, faites-en l'objet de vos pensées ; pratiquez ce que vous avez appris et reçu de moi, tout ce que vous avez entendu de mes lèvres et vu en moi 3 ». Vous voyez que dans les détails de son exhortation, l'Apôtre n'a pas omis ce qui regarde la bonne réputation; puis il résume tout en deux mots : « Ce qui est vertueux et louable ». Il a désigné d'abord ce qui est du ressort de la vertu ; quant à la réputation, elle se confond avec ce qui est louable. Je crois cependant que l'Apôtre ne se préoccupait pas beaucoup de la louange des hommes, car c'est lui qui a dit dans un autre passage : « Peu m'importe d'être jugé par vous ou par quelque homme que ce soit4 » ; et encore : « Si je cherchais à plaire aux hommes, je ne serais pas le serviteur de Jésus-Christ5 » ; et encore: « Ce qui fait notre gloire, c'est le témoignage de notre conscience6 ». De ces deux choses, la bonne vie et la bonne réputation, en d'autres termes, la vertu et l'estime, c'est pour lui-même qu'il s'attachait sagement à la première ; s'il s'occupait de la seconde, c'était par miséricorde pour les autres.
Cependant, quelque soin que nous apportions à celle-ci, nous ne pouvons échapper à tout mauvais soupçon; quand donc nous aurons fait pour notre réputation tout ce que nous aurons pu faire avec justice; supposé que quelqu'un, par des inventions criminelles ou par une excessive crédulité, cherche: à noircir notre réputation, rassurons-nous sur le témoignage de notre conscience et réjouissons-nous même, parce qu'une grande récompense nous attend dans le ciel, récompense dont ne pourront nous priver ceux qui rassemblent toute sorte de calomnies contre nous, pourvu toutefois que nous persévérions dans la justice et dans la piété7; car elle est le prix de ceux qui combattent avec les armes de la justice peu importe qu'ils combattent à droite ou à gauche, c'est-à-dire par la gloire ou la honte, par l'infamie ou une bonne réputation8.