CHAPITRE II. LE JEUNE NOUS PLACE ENTRE LES HOMMES CHARNELS ET LES ANGES.
2. Il y a donc, mes frères, une nourriture terrestre qui relève la faiblesse de la chair, et une nourriture céleste qui satisfait à la piété de l'esprit; du reste chacune de ces deux nourritures a sa vie propre : la vie de la première c'est la vie des hommes; la vie de la seconde c'est la vie des anges. Mais il est entre les hommes charnels et les anges une sorte d'intermédiaire où se trouvent les hommes fidèles, déjà séparés de coeur de la foule des infidèles, tendant vers Dieu, prêtant l'oreille à cette parole: Le coeur en haut, portant en eux-mêmes une autre espérance, et sachant qu'ils ne sont en ce monde que pour y accomplir un pèlerinage. On ne saurait assurément leur comparer tous ces hommes pour qui il n'y a d'autre bien que de jouir de toutes les délices terrestres; mais on ne peut pas non plus les assimiler à ces esprits bienheureux du ciel qui ne trouvent de délices que dans le pain qui les a créés. Ces hommes courbés vers la terre, demandant à la chair toutes les satisfactions et toutes les joies, ne sauraient être comparés qu'aux animaux et laissent entre eux et les anges une distance presque infinie par leur condition et par leurs moeurs; par leur condition puisqu'ils sont mortels; par leurs moeurs puisqu'ils s'abandonnent à toute la dégradation des sens. Or, entre ce peuple du ciel et ce peuple de la terre, l'Apôtre tenait pour ainsi parler le milieu; de plus en plus il tendait vers le ciel; de plus en plus il se détachait de la terre. Pourtant il n'était point encore du ciel, car il avouait qu'il n'était pas encore parfait; il n'était pas non plus du nombre de ces hommes paresseux, engourdis, énervés, endormis, croyant qu'il n'y a rien autre chose que ce qu'ils voient, que ce qui passe ; que tout pour eux consiste à naître et à mourir. Si l'Apôtre eût été du nombre de ces hommes, aurait-il pu dire : « Je tends vers la palme de la céleste vocation? »
Le jeûne doit donc entrer dans la direction à imprimer à notre vie. Les anges,.je l'ai dit, sont par nature étrangers à cette obligation ; les hommes qui se font les esclaves de leur chair ne s'en occupent pas davantage; il en est autrement pour nous, qui vivons en dehors de tout contact avec les infidèles et qui aspirons ardemment à nous réunir aux anges. Cette union n'existe pas encore, mais nous y tendons; nous ne partageons pas encore leur joie, mais nous l'appelons de nos désirs. Mais enfin, à quoi nous sert-il donc de nous abstenir un peu de la nourriture et des joies de la chair? La chair tend vers la terre; l'esprit tend à s'élever, il est entraîné par l'amour mais retardé par le poids du corps. De là cette parole de l'Ecriture : « Le corps qui se corrompt appesantit l'âme, et cette enveloppe terrestre que nous habitons incline vers la terre l'intelligence et le flot de ses pensées1 ». Si donc la chair devient un poids pour l'âme par cela même qu'elle tend vers la terre, si elle est un fardeau qui ralentit le vol de l'esprit vers les sphères supérieures, plus un homme trouve ses délices dans la vie supérieure, plus il travaille à se débarrasser du fardeau terrestre qui l'accable. Voilà ce que nous faisons quand nous nous livrons au jeûne.
Sag. IX, 15. ↩
