Edition
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De civitate Dei (CCSL)
Caput XXI: An daemonibus nuntiis et interpretibus di utantur fallique se ab eis aut ignorent aut uelint.
Sed nimirum tantae huius absurditatis et indignitatis est magna necessitas, quod scilicet deos aetherios humana curantes quid terrestres homines agerent utique lateret, nisi daemones aerii nuntiarent; quoniam aether longe a terra est alteque suspensus, aer uero aetheri terraeque contiguus. o mirabilem sapientiam. quid aliud de dis isti sentiunt, quos omnes optimos uolunt, nisi eos et humana curare, ne cultu uideantur indigni, et propter elementorum distantiam humana nescire, ut credantur daemones necessarii et ob hoc etiam ipsi putentur colendi, per quos di possint et quid in rebus humanis agatur addiscere et ubi oportet hominibus subuenire? hoc si ita est, dis istis bonis magis notus est daemon per corpus uicinum quam homo per animum bonum. o multum dolenda necessitas, an potius inridenda uel detestanda uanitas, ne sit uana diuinitas. si enim animo ab obstaculo corporis libero animum nostrum uidere di possunt, non ad hoc indigent daemonibus nuntiis; si autem animorum indicia corporalia, qualia sunt locutio uultus motus, per corpus suum aetherii di sentiunt et inde colligunt quid etiam daemones nuntient, possunt et mendaciis daemonum decipi. porro si deorum diuinitas a daemonibus non potest falli, eadem diuinitate quod agimus non potest ignorari. uellem autem mihi isti dicerent, utrum dis daemones nuntiauerint de criminibus deorum poetica Platoni displicere figmenta et sibi ea placere celauerint, an utrumque occultauerint deosque esse maluerint totius rei huius ignaros, an utrumque indicauerint, et religiosam erga deos Platonis prudentiam et in deos iniuriosam libidinem suam, an sententiam quidem Platonis, qua noluit deos per inpiam licentiam poetarum falsis criminibus infamari, ignotam dis esse uoluerint, suam uero nequitiam, qua ludos scaenicos amant, quibus illa deorum dedecora celebrantur, prodere non erubuerint uel timuerint. horum quattuor, quae interrogando proposui, quodlibet eligant et in quolibet eorum quantum mali de dis bonis opinentur adtendant. si enim primum elegerint, confessuri sunt non licuisse dis bonis habitare cum bono Platone, quando eorum iniurias prohibebat, et habitasse cum daemonibus malis, quando eorum iniuriis exultabant, cum di boni hominem bonum longe a se positum nonnisi per malos daemones nossent, quos uicinos nosse non possent. si autem secundum elegerint et utrumque occultatum a daemonibus dixerint, ut di omnino nescirent et Platonis religiosissimam legem et daemonum sacrilegam delectationem: quid in rebus humanis per internuntios daemones di nosse utiliter possunt, quando illa nesciunt, quae in honorem bonorum deorum religione bonorum hominum contra libidinem malorum daemonum decernuntur? si uero tertium elegerint et non solum sententiam Platonis deorum iniurias prohibentem, sed etiam daemonum nequitiam deorum iniuriis exultantem per eosdem daemones nuntios dis innotuisse responderint: hoc nuntiare est an insultare? et di utrumque sic audiunt, sic utrumque cognoscunt, ut non solum malignos daemones deorum dignitati et Platonis religioni contraria cupientes atque facientes a suo accessu non arceant, uerum etiam per illos malos propinquos Platoni bono longinquo dona transmittant? sic enim eos elementorum quasi catenata series conligauit, ut illis, a quibus criminantur, coniungi possint, huic, a quo defenduntur, non possint, utrumque scientes, sed aeris et terrae transmutare pondera non ualentes. iam, quod reliquum est, si quartum elegerint, peius est ceteris. quis enim ferat, si poetarum de dis inmortalibus criminosa figmenta et theatrorum indigna ludibria suamque in his omnibus ardentissimum cupiditatem et suauissimam uoluptatem dis daemones nuntiauerunt, et quod Plato philosophica grauitate de optima republica haec omnia censuit remouenda tacuerunt; ut iam di boni per tales nuntios nosse cogantur mala pessimorum, nec aliena, sed eorundem nuntiorum, atque his contraria non sinantur nosse bona philosophorum, cum illa sint in iniuriam, ista in honorem ipsorum deorum?
Traduction
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La cité de dieu
CHAPITRE XXI
SI LES DIEUX SE SERVENT DES DÉMONS COMME DE MESSAGERS ET D’INTERPRÈTES, ET S’ILS SONT TROMPÉS PAR EUX, A LEUR INSU OU DE LEUR PLEIN GRÉ.
Mais, disent-ils, ce qui vous paraît d’une absurdité et d’une indignité révoltantes est absolument nécessaire, les dieux de l’éther ne pouvant rien savoir de ce que font les habitants de la terre que par l’intermédiaire des démons de l’air; car l’éther est loin de la terre, à une hauteur prodigieuse, au lieu que l’air est à la fois contigu à l’éther et à la terre. O l’admirable sagesse et le beau raisonnement! Il faut, d’un côté, que les dieux dont la nature est essentiellement bonne, aient soin des choses humaines, de peur qu’on ne les juge indignes d’être honorés; de l’autre côté, il faut que, par suite de la distance des éléments, ils ignorent ce qui se passe sur la terre, afin de rendre indispensable le ministère des démons et d’accréditer leur culte parmi les peuples, sous prétexte que c’est par leur entremise que les dieux peuvent être informés des choses d’en bas, et venir au secours des mortels. Si cela est, les dieux bons connaissent mieux les démons par la proximité de leurs corps que les hommes par la bonté de leurs âmes. O déplorable nécessité, ou plutôt ridicule et vaine erreur, imaginée pour couvrir le néant de vaines divinités! En effet, s’il est possible aux dieux de voir notre esprit par leur propre esprit libre des obstacles du corps, ils n’ont pas besoin pour cela du ministère des démons; si, au contraire, les dieux ne connaissent les esprits qu’en percevant, à l’aide de leurs propres corps éthérés, les signes corporels tels que le visage, la parole, les mouvements; si c’est de la sorte qu’ils recueillent les messages des démons, rien n’empêche qu’ils ne soient abusés par leurs mensonges. Or, comme il est impossible que la Divinité soit trompée par -les démons, il est impossible aussi que la Divinité ignore ce que font les hommes.
J’adresserais volontiers une question à ces philosophes: Les démons ont-ils fait connaître aux dieux l’arrêt prononcé par Platon contre les fictions sacrilèges des poètes, sans leur avouer le plaisir qu’ils prennent à ces fictions? ou bien ont-ils gardé le silence sur ces deux choses? ou bien les ont-ils révélées toutes deux, ainsi que leur libertinage, plus injurieux à la divinité que la religieuse sagesse de Platon ? ou bien, enfin, ont-ils caché aux dieux la condamnation dont Platon a frappé la licence calomnieuse du théâtre? et, en même temps, ont-ils eu l’audace et l’impudeur de leur avouer le plaisir criminel qu’ils prennent à ce spectacle des dieux avilis? Qu’on choisisse entre ces quatre suppositions: je n’en vois aucune où il ne faille penser beaucoup de mal des dieux bons. Si l’on admet la première, il faut accorder qu’il n’a pas été permis aux dieux bons de communiquer avec un bon philosophe qui les défendait contre l’outrage, et qu’ils ont communiqué avec les démons qui se réjouissaient de les voir outragés. Ce bon philosophe, en effet, était trop loin des dieux bons pour qu’il leur fût possible de le connaître autrement que par des démons méchants qui ne leur étaient pas déjà très-bien connus malgré le voisinage. Si l’on veut que les démons aient caché aux dieux tout ensemble et le pieux arrêt de Platon et leurs plaisirs sacrilèges, à quoi sert aux dieux, pour la connaissance des choses humaines, l’entremise des démons, du moment qu’ils ne savent pas ce que font des hommes pieux, par respect pour la majesté divine, contre le libertinage des esprits méchants ? J’admets la troisième supposition, que les démons n’ont pas fait connaître seulement aux dieux le pieux sentiment de Platon, mais aussi le plaisir criminel qu’ils prennent à voir la Divinité avilie, je dis qu’un tel rapport adressé aux dieux est plutôt un insigne outrage. Et cependant on admet que les dieux, sachant tout cela, n’ont pas rompu commerce avec les démons, ennemis de leur dignité comme de la piété de Platon, mais qu’ils ont chargé ces indignes voisins de transmettre leurs dons au vertueux Platon, trop éloigné d’eux pour les recevoir de leur main. Ils sont donc tellement liés par la chaîne indissoluble des éléments, qu’ils peuvent communiquer avec leurs calomniateurs et ne le peuvent pas avec leurs défenseurs, connaissant les uns et (171) les autres, mais ne pouvant pas changer le poids de la terre et de l’air. Reste la quatrième supposition, mais c’est la pire de toutes: car comment admettre que les démons aient révélé aux dieux, et les fictions calomnieuses de la poésie, et les folies sacrilèges du théâtre, et leur passion ardente pour les spectacles, et le plaisir singulier qu’ils y prennent, et qu’en même temps ils leur aient dissimulé que Platon, au nom d’une philosophie sévère, a banni ces jeux criminels d’un Etat bien réglé? A ce compte les dieux seraient contraints d’apprendre par ces étranges messagers les dérèglements les plus coupables, ceux de ces messagers mêmes, et il ne leur serait pas permis de connaître les bons sentiments des philosophes; singulier moyen d’information, qui leur apprend ce qu’on fait pour les outrager, et leur cache ce qu’on fait pour les honorer !