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De civitate Dei (CCSL)
Caput XVIII: Quantae clades Romanos sub bellis Punicis triuerint frustra deorum praesidiis expetitis.
Iam uero Punicis bellis, cum inter utrumque imperium uictoria diu anceps atque incerta penderet populique duo praeualidi impetus in alterutrum fortissimos et opulentissimos agerent, quot minutiora regna contrita sunt. quae urbes amplae nobilesque deletae, quot adflictae, quot perditae ciuitates. quam longe lateque tot regiones terraeque uastatae sunt. quotiens uicti hinc atque inde uictores. quid hominum consumptum est uel pugnantium militum uel ab armis uacantium populorum. quanta uis nauium marinis etiam proeliis obpressa et diuersarum tempestatum uarietate submersa est. si enarrare uel commemorare conemur, nihil aliud quam scriptores etiam nos erimus historiae. tunc magno metu perturbata Romana ciuitas ad remedia uana et ridenda currebat. instaurati sunt ex auctoritate librorum Sibyllinorum ludi saeculares, quorum celebritas inter centum annos fuerat instituta felicioribusque temporibus memoria neglegente perierat. renouarunt etiam pontifices ludos sacros inferis et ipsos abolitos annis retrorsum melioribus. nimirum ergo, quando renouati sunt, tanta copia morientium ditatos inferos etiam ludere delectabat, cum profecto miseri homines ipsa rabida bella et cruentas animositates funereasque hinc atque inde uictorias magnos agerent ludos daemonum et opimas epulas inferorum. nihil sane miserabilius primo Punico bello accidit, quam quod ita Romani uicti sunt, ut etiam Regulus ille caperetur, cuius in primo et in altero libro fecimus mentionem, uir plane magnus et uictor antea domitorque Poenorum, qui etiam ipsum primum bellum Punicum confecisset, nisi auiditate nimia laudis et gloriae duriores condiciones, quam ferre possent, fessis Carthaginiensibus imperasset. illius uiri et captiuitas inopinatissima et seruitus indignissima, et iuratio fidelissima et mors crudelissima si deos illos non cogit erubescere, uerum est quod aerei sunt et non habent sanguinem. nec mala illo tempore grauissima intra moenia defuerunt. nam exundante nimis ultra morem fluuio Tiberino paene omnia urbis plana subuersa sunt, aliis impetu quasi torrentis inpulsis, aliis uelut stagno diuturno madefactis atque sublapsis. istam deinde pestem ignis perniciosior subsecutus est, qui correptis circa forum quibusque celsioribus etiam templo Vestae suo familiarissimo non pepercit, ubi ei ueluti uitam perpetuam diligentissima substitutione lignorum non tam honoratae quam damnatae uirgines donare consuerant. tunc uero illic ignis non tantum uiuebat, sed etiam saeuiebat. cuius impetu exterritae uirgines sacra illa fatalia, quae iam tres, in quibus fuerant, presserant ciuitates, cum ab illo incendio liberare non possent, Metellus pontifex suae quodammodo salutis oblitus inruens ea semiustus abripuit. neque enim uel ipsum ignis agnouit, aut uero erat ibi numen, quod non etiam, si fuisset, fugisset. homo igitur potius sacris Vestae quam illa homini prodesse potuerunt. si autem a se ipsis ignem non repellebant, ciuitatem, cuius salutem tueri putabantur, quid contra illas aquas flammasque poterant adiuuare? sicut etiam res ipsa nihil ea prorsus potuisse patefecit. haec istis nequaquam obicerentur a nobis, si illa sacra dicerent non tuendis his bonis temporalibus instituta, sed significandis aeternis, et ideo, cum ea, quod corporalia uisibiliaque essent, perire contingeret, nihil his rebus minui, propter quas fuerant instituta, et posse ad eosdem usus denuo reparari. nunc uero caecitate mirabili eis sacris, quae perire possent, fieri potuisse existimant, ut salus terrena et temporalis felicitas ciuitatis perire non posset. proinde cum illis etiam manentibus sacris uel salutis contritio uel infelicitas inruisse monstratur, mutare sententiam, quam defendere nequeunt, erubescunt.
Traduction
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La cité de dieu
CHAPITRE XVIII.
DES MALHEURS ARRIVÉS AUX ROMAINS PENDANT LA PREMIÈRE GUERRE PUNIQUE SANS QU’ILS AIENT PU OBTENIR L’ASSISTANCE DES DIEUX.
Et durant les guerres puniques, lorsque la victoire demeura si longtemps en balance, dans cette lutte où deux peuples belliqueux déployaient toute leur énergie, combien de petits Etats détruits, combien de villes dévastées, de provinces mises au pillage, d’armées défaites, de flottes submergées, de sang répandu! Si nous voulions raconter ou seule-nient rappeler tous ces désastres, nous referions l’histoire de Rome. Ce fut alors que les esprits effrayés eurent recours à des remèdes vains et ridicules. Sur la foi des livres sibyllins, on recommença les jeux séculaires, dont l’usage s’était perdu en des temps plus heureux. Les pontifes rétablirent aussi les jeux consacrés aux dieux infernaux, que la prospérité avait également fait négliger. Aussi bien je crois qu’en ce temps-là la joie devait être grande aux enfers, d’y voir arriver tant de monde, et il faut convenir que les guerres furieuses et les sanglantes animosités des hommes fournissaient alors aux démons de beaux spectacles et de riches festins. Mais ce qu’il y eut de plus déplorable dans cette première guerre punique, ce fut cette défaite des Romains dont nous avons parlé dans les deux livres précédents et où fut pris Régulus ; grand homme auquel II ne manqua, pour mettre fin à la guerre, après avoir vaincu les Carthaginois, que de résister à un désir immodéré de gloire, qui lui fit imposer des conditions trop dures à un peuple déjà épuisé. Si la captivité imprévue de cet homme héroïque, si l’indignité de sa servitude, si sa fidélité à garder son serment, si sa mort cruelle et inhumaine ne forcent point les dieux à rougir, il faut dire qu’ils sont d’airain comme leurs statues et n’ont point de sang dans les veines.
Au reste, durant ce temps, les calamités ne manquèrent pas à Rome au dedans de ses murailles. Un débordement extraordinaire du Tibre ruina presque toutes les parties basses de la ville; plusieurs maisons furent renversées tout d’abord par la violence du fleuve, et les autres tombèrent ensuite à cause du long séjour des eaux. Ce déluge fut suivi d’un incendie plus terrible encore; le feu, qui commença parles plus hauts édifices du Forum, n’épargna même pas son propre sanctuaire, le temple de Vesta, où des vierges choisies pour cet honneur, ou plutôt pour ce supplice, étaient chargées d’alimenter sa vie perpétuellement. Mais alors il ne se contentait pas de vivre, il sévissait, et les vestales épouvantées ne pouvaient sauver de l’embrasement cette divinité fatale qui avait déjà fait périr trois villes1 où elle était adorée. Alors le pontife Métellus, sans s’inquiéter de son propre salut, se jeta à travers les flammes et parvint à en tirer l’idole, étant lui-même à demi brûlé, car le feu ne sut pas le reconnaître. Etrange divinité, qui n’a seulement pas la force de s’enfuir, de sorte qu’un homme se montre plus capable de courir au secours d’une déesse que la déesse ne l’est d’aller au sien. Aussi bien si ces dieux ne savaient pas se défendre eux-mêmes du feu, comment en auraient-ils garanti la ville placée sous leur protection? et en effet il parut bien qu’ils n’y pouvaient rien du tout. Nous ne parlerions pas ainsi à nos adversaires, s’ils disaient que eurs idoles sont les symboles des biens éternels et non les gages des biens terrestres, et qu’ainsi, quand ces symboles viennent à périr, comme toutes les choses visibles et corporelles, l’objet du culte subsiste et le dommage matériel peut toujours être réparé; mais, par un aveuglement déplorable, on s’imagine que des idoles passagères peuvent assurer à une ville une félicité éternelle, et quand nous prouvons à nos adversaires que le maintien même des idoles n’a pu les garantir d’aucune calamité, ils rougissent de confesser une erreur qu’ils sont incapables de soutenir.
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Troie, Lavinie et Albe. ↩