CHAPITRE XXI.
DE LA TROISIÈME APPARITION DE DIEU A ABBAHAM, OU IL LUI RÉITÈRE LA PROMESSE DE LA TERRE DE CHANAAN POUR LUI ET SES DESCENDANTS A PERPÉTUITÉ.
Après qu’Abraham et Lot se furent ainsi séparés et que l’un se fut fixé dans la terre de Chanaan et l’autre à Sodome, Dieu apparut à Abraham pour la troisième fois, et lui dit:
« Regardez de tous côtés, autant que votre vue peut s’étendre vers les quatre points du monde ; je vous donnerai, à vous et à tous vos descendants jusqu’à la fin du siècle, toute cette terre que vous voyez, et je multiplierai votre postérité comme la poussière de la terre. Si quelqu’un peut compter les grains de poussière de la terre, il pourra aussi compter votre postérité. Levez-vous, et mesurez cette terre en long et en large, car je vous la donnerai1». On ne voit pas bien si, dans cette promesse, est comprise celle qui a rendu Abraham père de toutes les nations; on peut néanmoins le conjecturer d’après ces paroles: « Je multiplierai votre postérité comme la poussière de la terre », expression figurée que les Grecs appellent hyperbole et qui a lieu quand ce qu’on dit d’une ,chose la surpasse de beaucoup. Qui ne sait combien la poussière de la terre surpasse le nombre des hommes, quel qu’il p,uisse être, depuis Adam jusqu’à la fin du siècle, et à plus forte raison la postérité d’Abraham, soit la charnelle, soit la spirituelle? En effet, cette dernière postérité est peu de chose en comparaison de la multitude des méchants, et cependant, malgré sa petitesse, elle forme encore un nombre innombrable, d’où vient que l’Ecriture la désigne par la poussière de la terre. Mais elle n’est innombrable qu’aux hommes, et non à Dieu, qui sait même le compte de tous les grains de poussière. Ainsi, comme l’hyperbole de l’Ecriture est mieux remplie par les deux postérités d’Abraham, on peut croire que cette promesse s’applique à l’une et à l’autre2. Si j’ai dit que cela n’est pas très-clair, c’est que le seul peuple juif a tellement multiplié qu’il s’est presque répandu dans toutes les contrées du monde, de sorte qu’il suffit pour justifier l’hyperbole, outre qu’on ne peut pas nier que la terre dont il est question ne soit celle de Chanaan. Néanmoins, ces mots : « Je vous la donnerai, à vous et à vos descendants jusqu’à la fin du siècle », peuvent en faire douter, si, par cette expression, jusqu’à la fin du siècle, on entend éternellement; mais si on les prend comme nous pour la fin de ce monde et le commencement de l’autre, il n’y a point de difficulté. Bien que les Juifs aient été chassés de Jérusalem, ils demeurent dans les autres villes de la terre de Chanaan et y demeureront jusqu’à la fin du monde; ajoutez à cela que, quand cette terre est habitée par des chrétiens, c’est la postérité d’Abraham qui l’habite.
