CHAPITRE X.
COMMENT LA TRINITÉ SE FORME DANS L’ÂME QUI SE SOUVIENT D’ELLE-MÊME, SE COMPREND ET S’AIME.
- Parmi les choses temporelles dont nous avons parlé et qui font l’objet de la science, il en est qui sont susceptibles d’être connues avant qu’on ne les connaisse; comme, par exemple, les choses sensibles qui existent en réalité avant qu’on en ait connaissance; ou encore celles qui sont connues par l’histoire. Il en est d’autres qui commencent dans le moment même, comme quand, par exemple, un objet visible qui n’existait pas du tout, surgit tout à coup devant nos yeux, et n’est évidemment pas antérieur à la connaissance que nous en avons; ou encore quand un son se fait entendre, et commence et finit en même temps que l’audition de celui qui l’écoute. Mais les unes et les autres, soit antérieures à la connaissance, soit simultanées, engendrent leur connaissance et n’en sont point engendrées. Et quand une fois connues et renfermées dans la mémoire, elles sont revues, qui ne voit que ce classement dans la mémoire est antérieur à la vision résultant du souvenir et à la réunion des deux, formée par la volonté ? Mais dans l’âme il n’en est pas ainsi : l’âme n’est pas accidentelle pour elle-même, comme si elle était telle par elle-même et qu’il lui vînt d’ailleurs une autre elle-même qu’elle n’était pas d’abord, ou du moins comme si, sans venir du dehors, il lui naissait dans elle-même qu’elle était, une autre elle-même qu’elle n’était pas, par exemple, comme la foi qui n’était pas dans l’âme, et naît dans l’âme qui était déjà âme auparavant ; ou comme quand, postérieurement à la connaissance qu’elle a d’elle-même, elle se voit, par le souvenir, établie en quelque sorte dans sa propre mémoire, comme si elle n’y eût pas été avant de s’y connaître, bien que certainement depuis qu’elle a commencé d’être, elle n’ait jamais cessé de se souvenir d’elle-même, de se comprendre et de s’aimer, ainsi que nous l’avons déjà fait voir. Par conséquent lorsqu’elle se tourne vers elle-même par la connaissance, il se forme une trinité où déjà on peut découvrir le verbe : car il est formé de la pensée, et la volonté les unit l’un à l’autre. C’est donc là surtout qu’il faut reconnaître l’image que nous cherchons.
