CHAPITRE XXVIII. L'IMAGE DE DIEU N'EST PAS ENTIÉREMENT DÉTRUITE DANS LES INFIDÉLES.
Dans l'âme humaine, l'image de Dieu n'a pas été tellement détruite par la souillure des affections terrestres, qu'il n'en reste plus aucun trait, aucune ligne principale. D'où il suit que, malgré l'impiété à laquelle cette âme s'abandonne, elle a encore quelque notion et quelque amour de la loi. De là ces paroles : « Les Gentils qui n'ont pas la loi », c'est-à-dire la loi positive révélée par Dieu, et accomplissent naturellement les prescriptions de la loi ; ils sont ainsi à eux-mêmes leur propre loi, et ils ont l'oeuvre de la loi écrite dans leurs coeurs ». Ce langage de l'Apôtre signifie évidemment que les caractères gravés dans l'âme humaine pas l'image de Dieu ne sont pas encore entièrement détruits. Mais tout cela laisse subsister tout entière la différence qui distingue le Nouveau Testament de l'Ancien, et que nous avons signalée en disant que par le Nouveau Testament, la loi de Dieu a été gravée dans le coeur des fidèles, tandis que, dans l'Ancien Testament, cette même loi n'était écrite que sur des tables de pierre. Il n'en est pas moins vrai de dire qu'il n'y a eu qu'un renouvellement de la loi; car cette loi, presque entièrement effacée par la vétusté, s'est trouvée rajeunie dans les âmes. De même que l'image de Dieu, plus ou moins altérée, mais non pas anéantie par l'impiété, se renouvelle, par le Nouveau Testament, dans l'âme de ceux qui croient; de même la loi de Dieu, plus ou moins oblitérée, mais non pas entièrement détruite par l'injustice, reparaît de nouveau, entièrement renouvelée par la grâce. Cette rénovation, qui n'est, à proprement parler, que la justification, ne pouvait être produite, dans les Juifs, par la loi écrite sur les tables de pierre; car cette loi n'enfantait que la prévarication.
En effet, quoique sous le joug du péché, les hommes étaient des hommes, et en vertu de sa propre nature, leur âme était restée raisonnable et par là même capable de juger et de faire ce qui est naturellement bon et honnête. Quant à la piété qui nous transporte dans une vie heureuse et éternelle, elle a pour règle une loi immaculée et ramenant les âmes à la vertu1, c'est-à-dire les renouvelant à la lumière surnaturelle et réalisant en elles cette parole : « La lumière de notre visage a brillé à nos yeux2», C'est en se détournant de cette lumière, que les hommes ont mérité de tomber dans les ténèbres; mais quant à se renouveler, ils ne le peuvent que par la grâce chrétienne, c'est-à-dire par l'intercession du souverain Médiateur. « Car nous n'avons qu'un seul Dieu et un seul Médiateur entre les hommes et Dieu, Jésus-Christ, Dieu et homme, qui s'est fait victime pour nous racheter tous ». Si vous supposez étrangers à cette grâce ces Gentils dont nous parlons, et qui, dans le sens exposé précédemment, « accomplissent naturellement les prescriptions de la loi », à quoi leur serviront « leurs vaines excuses, au jour où le «Seigneur jugera les secrets des hommes3?» Ils ne peuvent espérer qu'un certain adoucissement dans la rigueur de leurs peines.
De même que le juste n'est pas exclu de la vie éternelle pour certains péchés véniels qui sont inséparables de notre existence ici-bas ; de même l'impie ne trouvera nullement son salut éternel dans certaines bonnes actions que l'on rencontre dans la vie de tout homme, même des plus grands scélérats. D'un autre côté, dans le royaume de Dieu, la gloire d'un saint différera de la gloire d'un autre saint, comme une étoile diffère d'une autre étoile4 ; de même, dans les flammes éternelles, le châtiment de Sodome sera moindre que celui d'une autre ville5, et tels réprouvés seront doublement les fils de l'enfer en comparaison de tel autre6; de même, enfin, tout nous force à admettre que des hommes, tout en partageant la même impiété, se rendent beaucoup plus coupables les uns que les autres.