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Le libre arbitre est-il donc anéanti par la grâce ? A Dieu ne plaise, car nous ne faisons au contraire que l'affermir d'une manière plus explicite. En effet, de même que par la foi nous établissons la loi; de même le libre arbitre, loin d'être détruit, est établi par la grâce. La loi, dans son accomplissement, suppose nécessairement le libre arbitre ; mais tandis que la loi ne nous donne que la connaissance du péché, par la foi nous obtenons la grâce contre le péché ; par la grâce notre âme est guérie du vice du péché; par la guérison de l'âme le libre arbitre arrive à une liberté parfaite ; par le libre arbitre nous parvenons à l'amour de la justice, et enfin par l'amour de la justice nous nous livrons à l'accomplissement de la loi. On comprend dès lors que la loi n'est point détruite, mais établie par la foi, parce que la foi nous obtient la grâce avec laquelle nous accomplissons la loi. De même le libre arbitre n'est point détruit, mais établi par la grâce, parce que la grâce guérit la volonté et que la volonté guérie se porte librement à l'amour de la justice.
Toutes ces conclusions que j'enchaîne ainsi les unes aux autres se trouvent clairement formulées dans les saintes Ecritures. La loi dit : « Vous ne convoiterez point1 ». La foi dit: « Guérissez mon âme parce que j'ai péché contre vous2 ». La grâce dit : « Voici que vous êtes guéri, ne péchez plus, dans la crainte que vous ne retombiez dans un état pire encore3 ». La guérison dit: « Seigneur mon Dieu, j'ai crié vers vous et vous m'avez guéri4». Le libre arbitre dit : « Je sacrifierai volontairement à votre gloire5 ». L'amour de la justice dit : « Les pécheurs m'ont raconté leurs plaisirs; mais, Seigneur, que sont ces plaisirs en comparaison de ceux que procure votre loi6? » Pourquoi donc de malheureux mortels osent-ils se glorifier de leur libre arbitre, avant de se voir en pleine liberté; ou pourquoi se glorifient-ils de leurs propres forces, s'ils ne se sentent en liberté ? Ne comprennent-ils pas que le libre arbitre implique nécessairement l'idée de liberté ? Or « là où est l'esprit du Seigneur, là se trouve la liberté7 ». Si donc ils sont les esclaves du péché, comment osent-ils se glorifier de leur libre arbitre? « Nous sommes les esclaves de celui qui nous a vaincus8 ». Et s'ils sont mis en liberté, pourquoi se glorifient-ils de leur oeuvre propre, comme s'ils lie l'avaient pas reçue ? Sont-ils libres jusqu'à se croire le pouvoir de rejeter l'autorité du Seigneur qui leur dit : « Sans moi, vous ne pouvez rien faire9 »; « Si le Fils nous a mis en liberté , vous serez véritablement libres10? »