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Que la discussion qui précède nous suffise, si elle suffit à la solution de la question proposée. On répondra peut-être qu'il faut éviter avant tout de donner lieu à qui que ce soit d'attribuer à Dieu le péché, qui se commet par le libre arbitre. Or, n'éprouve-t-on.pas cette tentation en entendant ces paroles : « Qu'avez-vous que vous ne l'ayez reçu ? » Car nous regardons comme un don de Dieu la volonté par laquelle nous croyons, puisqu'elle est formée avant tout du libre arbitre déposé en nous par le fait même de notre création. Que celui qui serait tenté de nous faire cette difficulté veuille bien réfléchir et comprendre que si nous regardons comme un don de Dieu cette volonté de croire, ce n'est pas seulement parce qu'elle repose sur le libre arbitre créé naturellement avec nous, c'est aussi et surtout parce que Dieu lui-même produit en nous cette volonté de, croire à l'aide de persuasions de tout genre; persuasions extérieures par les exhortations évangéliques et même par les préceptes de la loi, si ces préceptes en arrivent à convaincre l'homme de sa faiblesse et à lui faire chercher un refuge par la foi dans la grâce sanctifiante; persuasions intérieures par ces pensées surnaturelles qu'il n'est donné à aucun homme de faire naître de lui-même dans son esprit, et sur lesquelles sa volonté n'a d'autre pouvoir que de les accepter ou de les rejeter. Quand donc, pour l'amener à la foi, Dieu agit sur l'âme raisonnable de l'une ou de l'autre de ces deux manières, c'est-à-dire quand Dieu daigne user à son égard de cette persuasion ou de cette vocation sans laquelle il est impossible à l'homme de croire malgré son libre arbitre, il est certain qu'alors Dieu opère dans l'homme la volonté de croire, et que sa miséricorde nous prévient en toutes choses. Quant à consentir ou à résister à l'appel que Dieu nous adresse, c'est là, comme je l'ai dit, l'oeuvre de notre volonté propre. Cette proposition, d'ailleurs, loin d'infirmer, ne fait que confirmer cette parole de l'Apôtre : « Qu'avez-vous donc que vous ne l'ayez a reçu? » En effet, ces dons que Dieu nous accorde, l'âme ne peut les posséder qu'à la condition d'y consentir. Par conséquent, tout ce que l'âme possède, tout ce qu'elle reçoit lui vient de Dieu; mais quant à, l'action même de les recevoir et de les posséder, c'est l'oeuvre propre de l'âme qui les reçoit et les possède. Maintenant, si, voulant approfondir ces mystères, quelqu'un nous demande pourquoi celui-ci se trouve en effet gagné et persuadé, tandis que l'autre ne l'est pas, je n'ai que ces deux réponses à faire : « O profondeur des richesses1 ! » et : « L'iniquité peut-elle donc se trouver dans, le Seigneur2 ? » Simon interlocuteur n'est point satisfait de cette réponse, qu'il s'adresse à de plus savants que moi, mais qu'il prenne garde de trouver des présomptueux.
