30. Avis pour ne juger personne.
Ce vieillard, pour nous apprendre à ne juger personne, nous dit qu'il avait autrefois reproché trois choses à ses frères : de se faire couper la luette qui les gênait, d'avoir une couverture dans leurs cellules, et de bénir de l'huile pour les personnes du monde qui en demandaient; mais qu'il avait fait lui-même ce qu'il avait reproché aux autres. «J'ai eu, nous dit-il, la luette si malade qui a fallu céder à la force de la douleur ainsi qu'aux conseils de mes supérieurs, et permettre qu'on me fit l'opération. Cette infirmité me contraignit à avoir une couverture; et je fus obligé enfin dé bénir de l'huile et de la donner à ceux qui m'en demandaient: c'est ce que j'avais le plus en horreur, parce que je supposais que cet acte avait pour principe une grande présomption; mais je me trouvai tout à coup tellement entouré et pressé par des hommes du monde, que je ne pus m'en débarrasser qu'en cédant à leur violence, et en faisant le signe de la Croix sur un petit vase qu'ils me présentaient; ils crurent leur huile bénite et me rendirent enfin ma liberté1. Ceci me prouva qu'un religieux tombe souvent pour les mêmes causes dans les fautes qu'il se permet de reprocher aux autres. Il faut que chacun se juge lui-même et veille avec grand soin sur toutes ses actions, sans examiner les discours et la conduite des autres. C'est ce que nous recommande l'Apôtre : « Mais vous pourquoi juger votre frère? C'est pour son maître qu'il est ferme ou qu'il tombe. » (Rom., XIV, 10.) Et Notre-Seigneur a dit : « Ne jugez pas , afin que vous ne soyez pas jugé. Comme vous aurez jugé, vous serez jugé vous-même. » (S. Matth., VII, 1.) Outre cette raison, il est encore dangereux de juger les autres. Nous les blâmons parce que nous ignorons la contrainte ou les motifs qui les font agir, et qui les excusent ou les justifient même devant Dieu. Nous les avons jugés témérairement et nous commettons ainsi un grand péché, en n'ayant pas les sentiments que nous devrions avoir pour nos frères. »
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L'usage était de faire bénir ainsi de l'huile par les solitaires, et on s'en servait ensuite dans les maladies. (Conf., VII, 26.) ↩