Divertissement.
Cassien nous a conservé le trait de saint Jean jouant avec une perdrix, en illustration de la maxime que l'arc trop tendu se rompt.
Des changements de régime et de petits adoucissements rentrent dans le programme d'une vie d'ascèse.
C'est pourquoi les plus sages et les plus parfaits doivent, lorsqu'ils reçoivent le plus fréquemment les visites de leurs frères, non seulement les tolérer avec patience, mais les recevoir même avec joie. Premièrement parce qu'ils en aimeront beaucoup mieux après la solitude et la désireront avec plus d'ardeur; parce que ce qui semble nous arrêter un peu lorsque nous courons le mieux, nous sert au contraire à nous donner de nouvelles forces, et que si notre course n'était point mêlée quelquefois de ces petites interruptions, nous ne pourrions sans nous lasser la continuer jusqu'à la fin. De plus lorsque ces visites nous mettent dans une nécessité d'accorder quelque petit soulagement notre corps, la charité que nous rendons ainsi à nos frères, avec ce relâchement innocent de notre jeûne qu'elle nous permet, nous est plus avantageuse que n'aurait pu être l'abstinence la plus laborieuse et la plus étroite. Sur quoi je vous dirai en un mot une comparaison fort ancienne et fort commune, mais qui est très propre pour notre sujet.
On dit que le bienheureux évangéliste saint Jean tenant une perdrix et la caressant avec la main, fut aperçu en cet état par un homme qui avait l'équipage de chasseur. Cet homme s'étonnant qu'un apôtre si considérable, qui avait rempli la terre de sa réputation, s'amusât à des divertissements si bas : « Êtes-vous, lui dit-il, cet apôtre Jean dont on parle partout, et dont la réputation m'a donné l'envie de vous voir? Comment donc pouvez-vous vous divertir à ces amusements si bas ? » « Mon ami, lui répondit cet apôtre, que tenez-vous en votre main? » « Un arc », lui dit le chasseur. « D'où vient donc qu'il n'est pas bandé, et que vous ne le tenez pas toujours prêt ? » « Il ne le faut pas, lui dit-il, parce que s'il était toujours tendu, quand je voudrais m'en servir ensuite, il n'aurait plus de force pour lancer avec violence une flèche sur une bête. » « Ne vous étonnez donc pas, répliqua ce bienheureux apôtre, que notre esprit se relâche aussi quelquefois, parce que si nous le tenions toujours bandé, il s'affaiblirait par cette contrainte, et nous ne pourrions plus nous en servir lorsque nous voudrions l'appliquer de nouveau avec plus de force et de vigueur. » (Coll., XXIV, 20-21. P. L., 49, 1311.)