Surprise de ceux qui revoient Antoine après ses vingt ans de réclusion.
Ayant passé de la sorte environ vingt ans sans sortir jamais, et sans être vu que très rarement de personne, enfin plusieurs désirant avec ardeur de l'imiter dans cette sainte manière de vivre, et d'autre part grand nombre de ses amis l'étant venu trouver, et voulant à toute force rompre sa porte, il sortit comme d'un sanctuaire où il s'était consacré à Dieu et avait été rempli de son esprit. Ce fut alors la première fois qu'il parut hors de ce château à ceux qui venaient vers lui, et ils furent remplis d'étonnement de le voir dans une aussi grande vigueur qu'il eût jamais été, n'étant ni grossi, manque d'exercice, ni exténué par tant de jeûnes et de combats qu'il avait soutenus contre les démons. Il avait le même visage qu'avant qu'il fût solitaire, la même tranquillité d'esprit et l'humeur aussi agréable. Il n'était ni trop gai ni trop sévère ; il ne témoignait ni déplaisir de se voir entouré d'une si grande multitude, ni complaisance d'être salué et révéré de tant de personnes; mais étant en toutes choses d'une égalité et d'une modération d'esprit admirables, il montrait bien qu'il n'était gouverné que par la raison. (Vit. Ant., 15. P. L., 73, 134.)
Paroles d'Apollon. Les pèlerins découvrent que l'ascèse a fait du désert le séjour du bonheur.
Les frères qui étaient auprès de lui, ne mangeaient qu'après avoir reçu la sainte communion, environ la neuvième heure du jour, et demeuraient quelquefois au même lieu, sans en partir jusqu'au soir, qu'on les instruisait de la parole de Dieu, pour leur apprendre à ne cesser jamais d'accomplir ses commandements. Quelques-uns d'entre eux, après avoir mangé, s'en allaient dans le désert; ils employaient toute la nuit à méditer des passages de l'Ecriture Sainte qu'ils savaient par coeur; et les autres demeuraient au même lieu où ils s'étaient assemblés, et là, sans fermer les yeux, ils chantaient jusqu'au jour des hymnes et des cantiques à la louange de Dieu, ainsi que je l'ai vu et m'y suis trouvé présent. Quelques-uns d'entre eux descendaient de la montagne environ la neuvième heure du jour, et aussitôt après avoir reçu le sacré corps de Notre-Seigneur, ils se retiraient en se contentant de cette seule viande spirituelle. Leur contentement allait au delà de tout ce que l'on saurait s'imaginer, et leur joie était telle qu'il n'y a point d'homme dans le monde qui en puisse éprouver une semblable. Il ne s'en trouvait pas un seul qui fut triste ; et si quelqu'un paraissait de l'être un peu, leur saint père leur en demandait aussitôt la cause. Que s'il se rencontrait qu'il la lui voulût cacher, il lui disait ce qu'il avait dans le fond du coeur, l'obligeant ainsi de lui avouer sa peine; et il leur apprenait à tous, que ceux qui mettent leur seule confiance en Dieu, et espèrent de posséder son royaume, ne doivent jamais ressentir la moindre tristesse. « Que les païens, disait-il, s'affligent; que lés juifs répandent des larmes; que les méchants gémissent sans cesse; mais que les justes se réjouissent. Car si ceux qui mettent leur affection aux choses de la terre, se réjouissent de posséder des biens fragiles et périssables, pourquoi dans l'espérance que nous avons de posséder une gloire qui est infinie, de jouir d'un bonheur qui est éternel, ne serons-nous pas comblés de joie? » et l'Apôtre ne nous y exhorte-il pas, en nous disant : « Réjouissez-vous sans cesse; priez sans cesse, et rendez grâces à Dieu en toutes choses. » Mais qui serait capable de rapporter dignement quelle était la doctrine toute céleste de ce saint, et la grâce que Dieu répandait sur ses paroles? Ainsi ne vaut-il pas mieux que je demeure dans le silence que de continuer d'en parler trop faiblement. (H. M., 7. P. L., 21, 417.)