Contre les mauvais jugements
Ne jugez pas! La réputation du prochain est protégée par des défenses et des menaces. Certaines sévérités de nos maîtres peuvent étonner. On n'oserait cependant les attribuer à l'exaltation ou au scrupule.
Apprenons à ne pas les trouver excessives. C'est le même désir de perfection qui produit cette délicatesse extrême à l'égard des droits du prochain, et qui exige un compte rigoureux des offenses envers le Créateur.
Un saint vieillard disait : « Quoique vous soyez chaste, ne jugez pas pour cela celui qui a commis un péché d'impureté, afin de ne point contrevenir à la loi aussi bien que lui, puisque le même qui nous a défendu de commettre une impureté, nous défend aussi de juger. » (Pélage, V, 10. P. L., 73, 911.)
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L'abbé Hypérique disait : « Il vaut mieux manger de la chair et boire du vin que de dévorer son prochain en déchirant sa réputation. Car comme le serpent par ses paroles empoisonnées chassa Ève du Paradis terrestre, de mère celui qui médit de son prochain, perd non seulement son âme, mais aussi l'âme de la personne qui l'écoute. » (Ruffin, 134. P. L., 73, 786.)
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Le feu n'est pas plus contraire à l'eau que ces jugements téméraires le sont à l'esprit de la pénitence. Et quand vous verriez une personne tomber en faute à l'heure même de la mort, ne la condamnez pas pour cela, puisque le jugement de Dieu est caché aux hommes. Quelques-uns étant tombés publiquement en de grands péchés se relevèrent depuis en secret par des actions de vertu beaucoup plus grandes que n'avaient été leurs crimes. Et ainsi ceux qui aimaient à médire des autres furent trompés, s'étant attachés à la seule fumée, que les actions scandaleuses de ces personnes avaient répandue aux yeux du monde, et n'ayant pas vu la lumière secrète et divine dont le Soleil invisible avait depuis. éclairé leurs coeurs. (Clim., X, 8. P. G., 88, 848.)
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Dans un monastère se trouvaient deux frères de grande vertu qui avaient mérité de reconnaître chacun la grâce présente dans le coeur de l'autre. Il arriva qu'un certain vendredi l'un des deux sortit et vit quelqu'un qui mangeait; et il lui dit : « Comment, tu manges à cette heure un jour de vendredi ! » Le lendemain on célébrait la messe, comme c'est la coutume le samedi, le frère de ce solitaire l'ayant regardé fut tout attristé de ne plus voir en lui le signe de la grâce divine. L'ayant vu ensuite dans sa cellule il lui dit : « Qu'as-tu donc fait que je ne reconnais plus en toi la présence de la grâce? » Il lui répondit : « Mais ni dans mes actions ni dans mes pensées, je ne trouve de péché. » Le frère l'interrogeant lui dit : « N'aurais-tu pas dit de parole désagréable ? » Alors le souvenir lui revint et il avoua : « Oui, hier, ayant vu quelqu'un manger, je lui ai dit : « Tu manges à cette heure et un vendredi ! » Voilà mon péché. Mais faisons pénitence pendant deux semaines et prions Dieu de me pardonner. » Ainsi firent-ils et au bout de deux semaines l'ami du moine coupable vit de nouveau la grâce qui était en lui, et ils rendirent grâces à Dieu qui seul est bon. (Pélage, IX, 12. P. L., 73, 911.)