V. — Les Saintes Amitiés.
Nous entendons bien le sens de ce mot de charité, nous admirons ce qu'il résume de bienfaits et de dévouements héroïques. Mais nous avons l'idée d'un autre sentiment, d'une affection qui s'adresse à l'intime d'une âme. Le coeur qui cherche en tous le Dieu jaloux, comment satisfera-t-il ce désir d'un autre coeur d'être aimé pour lui-même? « Ce parent, cet ami doit-il écarter toute considération personnelle, la pensée de ce qu'il a fait pour moi, de ce que je suis pour lui? Il me blessera en m'assurant de sa charité, c'est d'amitié que j'ai besoin. »
L'abbé Joseph n'éprouve aucun embarras à reconnaître la légitimité de ce désir. Le satisfaire c'est pratiquer la grande vertu à un degré supérieur.
On ne trouve pas chez les Pères l'insistance à prémunir contre les amitiés particulières commune chez les spirituels du XVIIIe siècle.
Saint François de Sales pourrait s'appuyer sur Cassien quand il invoque l'autorité des anciens : « Saint Thomas, comme tous les bons philosophes, confesse que l'amitié est une vertu : or il parle de l'amitié particulière; puisque, comme il le dit, la parfaite amitié ne peut s'étendre à beaucoup de personnes. »
Dorothée éclaire ce problème des affections entre des âmes qui cherchent Dieu seul par la comparaison du cercle, où les rayons en se rapprochant du centre se rapprochent les uns des autres.
Reconnaissons cependant que la philosophie et les analyses de nos auteurs ne nous satisfont pas pleinement. Ils nous gênent parfois en rappelant la nécessité d'être rompu à l'abnégation pour pratiquer l'amitié. Ils paraîtraient oublier que la force du sentiment ne s'arrête pas à considérer les sacrifices qu'exige le bien d'un ami.
C'est quand l'idée de philosopher et de moraliser est loin de leur esprit qu'ils donnent de touchants témoignages de l'amitié dont sont capables les plus désireux de détachement.
Si les arguments et les explications des Pères ne nous satisfont pas pleinement, s'ils ne nous ont pas donné la théologie de l'amitié, ils ne nous laissent aucun doute sur la solution pratique du problème.
Cassien en appliquant à son amitié pour Germain les termes dont se servait Grégoire de Nazianze parlant de ses relations avec Basile : « On disait que nous étions une âme en deux corps », nous donne la justification des amitiés saintes.