Science surnaturelle.
L'abbé Théodore offre un exemple des lumières que jette une vie vertueuse sur le texte des Livres Saints. Lés efforts que la grâce demande à l'ascète, nécessaires pour montrer les degrés supérieurs de l'oraison, le sont également à qui veut avoir la vraie science de l'Écriture.
Des spirituels d'âges postérieurs dénonceront, parfois non sans malice, les illusions et les incompréhensions de docteurs devenus savants par la seule étude des livres. Ici le jeune Cassien est mis en garde contre la présomption que peut donner une certaine science acquise. On se croira un spirituel parce qu'on peut parler des choses spirituelles. « Ce sont deux choses différentes, d'avoir quelque facilité de parole et de contempler les mystères par l'oeil d'un coeur pur et éclairé. »
Nous avons vu aussi l'abbé Théodore qui était un homme d'une grande sainteté, et extrêmement habile, non seulement dans tout ce qui regarde la science de la pratique, mais encore l'intelligence de l'Écriture, qu'il n'avait point acquise par l'étude et par la lecture, ou par les belles lettres du monde, mais uniquement par la pureté de son coeur. Car il savait à peine quelques mots de la langue grecque, et il ne la parlait qu'avec difficulté. Ce saint homme cherchant une fois l'éclaircissement d'une question très difficile, demeura en prières sept jours et sept nuits sans discontinuer, jusqu'à ce que Dieu lui en eût enfin donné l'éclaircissement.
Lorsque quelques solitaires témoignaient un jour à ce saint homme l'étonnement où ils étaient de cette grande lumière qu'il avait, et qu'ils lui demandaient l'explication de quelques endroits de l'Écriture, il leur dit qu'un religieux qui désirait pénétrer dans le sens de l'Écriture Sainte, ne devait point consumer son esprit à lire les commentaires, mais qu'il devait plutôt employer tous ses soins à se purifier de ses vices. Quand ces vices auront €té bannis de l'âme, les yeux du coeur n'ayant plus ce voile, commenceront à contempler sens effort, et comme naturellement les merveilles renfermées dans l'Écriture.
Car le Saint-Esprit ne nous a pas donné ces livres, afin qu'ils nous fussent inconnus et inintelligibles. C'est nous-mêmes qui nous les obscurcissons en couvrant les yeux de notre coeur par le voile de nos péchés. Lorsque ces yeux intérieurs ont recouvré leur première santé et leur naturelle vigueur il nous suffit de lire ces livres saints pour en avoir l'intelligence, sans que nous ayons besoin de ces commentaires, comme les yeux de notre corps, lorsqu'ils sont sains et purs, n'ont point besoin d'aucun secours étranger pour voir. La raison même qui fait que ces auteurs s'entre-combattent, et tombent dans tant de différentes erreurs, est que la plupart d'entre eux se hâtent de donner des sens à l'Écriture, avant que d'avoir travaillé à purifier leur âme. Ainsi l'impureté de leur coeur les jetant dans des sentiments tout différents et contraires à la foi, elle les empêche de bien comprendre la lumière de la vérité. (Inst., V, 33, 34. P. L., 49, 249.)
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Lorsque nous parlons de Dieu par l'Esprit de Dieu, notre parole est celle de Dieu même, qui est toute pure et toute sainte et subsiste éternellement; au lieu que celui qui parle de Dieu par son propre esprit et non par une connaissance qui lui vienne de l'esprit de Dieu, n'en parle que par des conjectures, qui n'ont point de solidité ni de subsistance. (Clim., XXX, 23. P. G., 88, 1158.)
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C'est pourquoi si vous avez un désir sincère de vous élever à la science spirituelle, non par un mouvement de vaine gloire mais par un véritable désir de purifier vos coeurs, enflammez-vous d'ardeur pour jouir d'abord de cette béatitude : « Heureux ceux qui ont le coeur pur, parce qu'ils verront Dieu », afin que de là vous puissiez passer à cette science dont l'ange parle ainsi à Daniel : « Ceux qui seront savants brilleront comme la splendeur du firmament; et ceux qui instruisent plusieurs personnes de la justice, reluiront comme des astres dans toute l'éternité. » Et dans un autre prophète : « Faites luire sur vous la lumière de la science, pendant que vous aurez le temps. » Comme je remarque déjà en vous une grande ardeur pour la lecture, hâtez-vous d'acquérir promptement tout ce qui regarde la morale et cette science de pratique sans laquelle on ne peut s'élever à cette pureté de contemplation, qui n'est donnée pour récompense qu'à ceux qui après une infinité de travaux, sont enfin arrivés à la perfection non par les discours ou les instructions des autres, mais par leurs propres actions. Car ils n'acquièrent pas l'intelligence par la méditation de la loi, mais par le fruit de leurs oeuvres. Ils disent avec David : « Vos commandements m'ont donné l'intelligence. » Et après s'être purifiés de toute l'impureté de leurs passions, ils disent avec confiance : « Je chanterai et j'aurai l'intelligence dans une voie pure et sans tache. » Celui-là chante, et comprend ce qu'il dit, qui demeure ferme dans la voie pure par la pureté de son coeur. C'est pourquoi si vous avez quelque désir de préparer dans votre âme un temple à cette science spirituelle, purifiez-vous de toute la contagion des vices, et dégagez-vous de tous les soins de ce monde. Car il est impossible qu'une âme qui tient encore tant soit peu aux soins du siècle, mérite le don de la science, qu'elle puisse être féconde en des pensées et des sens spirituels, ou retenir avec quelque fermeté les lectures saintes qu'elle fait.
Prenez donc bien garde, mes enfants, et vous particulièrement, Cassien, à qui votre jeunesse rend ce que je m'en vais vous dire plus difficile à observer, que si vous voulez que votre lecture ne vous soit point inutile, et que tout le fruit de vos saints désirs ne se dissipe point par l'élèvement, vous imposiez à votre bouche un silence éternel. Car c'est là le premier pas de cette science actuelle, et tout le travail de l'homme, dit l'Ecclésiaste, est à régler sa bouche. C'est pourquoi il est bon que vous ayez toujours un grand soin d'écouter et de retenir toutes les paroles et les instructions de vos anciens, en tenant toujours votre coeur ouvert, et votre bouche fermée, et;vous hâtant plutôt de faire exactement ce qu'on vous aura dit, que d'enseigner ce que vous savez. Car en apprenant aux autres ces saintes vérités, on est exposé à la vaine gloire ; mais en les pratiquant dans le silence, on n'en retire que le fruit d'une intelligence spirituelle. C'est pourquoi dans les conférences que vous aurez avec les anciens, ne prenez jamais la liberté de parler que pour leur demander l'éclaircissement d'une difficulté dont l'ignorance vous serait dangereuse, ou pour acquérir une connaissance qui vous serait nécessaire.
Car il y a des personnes vaines qui font semblant d'ignorer ce qu'elles savent fort bien, afin de faire connaître leur habileté par des questions adroites et affectées. Mais il est impossible que celui qui s'applique à la lecture des choses saintes, pour s'acquérir de l'estime, obtienne jamais de Dieu le don d'une vraie science. Car quiconque est maîtrisé par cette passion, est, par une suite nécessaire, l'esclave de plusieurs autres, et principalement de celle de la vaine gloire. Ainsi, s'étant laissé vaincre dans ces premiers combats auxquels il est exposé pour pouvoir acquérir le règlement des moeurs et la pratique de la vertu, il ne pourra plus s'élever à cette science et cette contemplation spirituelle, qui naît de ce premier état comme de sa source. Soyez donc toujours prompt à écouter, et lent à parler, de peur de tomber dans le malheur que marque Salomon dans ses proverbes, lorsqu'il dit : « Si vous voyez un homme léger et inconsidéré dans ses paroles, sachez qu'il y a plus à espérer d'un insensé que de lui. » (Coll., XIV, 9. P. L., 49, 965.)