Les illusions.
Le conseil de s'abandonner à la direction de l'Esprit ne peut être donné en public sans qu'on rappelle le danger d'être trompé et la nécessité de contrôle de l'humilité et de l'obéissance.
Le cas de Sérapion serait plutôt décourageant. Cependant, sans nous présumer plus habiles et plus clairvoyants que ses guides, nous serions portés à supposer qu'une série de questions, posées sans apparence d'interrogatoire, auraient amené ce saint homme à s'exprimer plus exactement et à découvrir la vérité qu'il possédait en réalité.
L'abbé Daniel nous atteste d'ailleurs l'indulgence du Juge Omniscient à l'égard des simples qui sont tombés dans quelque erreur.
Il se trouva donc dans ce grand nombre de solitaires qui étaient prévenus de l'erreur anthropomorphiste un abbé nommé Sérapion, consommé dans toutes sortes de vertus, et recommandable par l'austérité de sa vie. Son ignorance en ce point de doctrine nuisait beaucoup à tous ses frères; et plus il les passait par le mérite de ses grandes vertus, et par l'autorité de sa vieillesse, plus aussi son erreur leur était dangereuse, et pouvait davantage altérer la pureté de leur foi.
Comme le saint prêtre Paphnuce tenta longtemps de le gagner, mais inutilement, parce que Sérapion regardait l'opinion si orthodoxe de ce saint abbé comme une opinion nouvelle, qu'il n'avait point reçue de la tradition, le diacre Photin, homme très savant, arriva du profond de la Grèce dans ce désert, pour y voir les solitaires. Le bienheureux Paphnuce le reçut avec toute sorte d'amitié et de respect. Et pour confirmer la foi et la vérité contenue dans les lettres de Théophile il le pria de lui dire en présence de tous les frères, comment les églises de l'Orient entendaient cet endroit de la Genèse : « Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance. » Ce saint diacre lui répondit sans hésiter, que tous les évêques de ce pays n'entendaient point cela à la lettre, ni d'une manière grossière, et rapporta beaucoup d'endroits de l'Écriture, pour prou ver que cela ne se devait pas entendre de la sorte.
Il montra clairement combien il était indigne de croire que cette majesté invisible de Dieu, si auguste et si incompréhensible, pût être bornée par quelque chose qui eût la forme et la ressemblance d'un homme, puisqu'elle était toute simple, sans composition, sans corps, sans figure, et que l'oeil ne la pouvait voir, comme l'esprit ne la pouvait comprendre. Enfin il lui parla si fortement sur ce sujet, que le bon vieillard Sérapion, se rendit à ses raisons, et reconnut ainsi cette vérité catholique établie par toute la tradition de l'Eglise. L'abbé Paplhnuce ressentit à ce changement une joie infinie, et tous les solitaires de ce désert n'en eurent pas une moindre. Nous fûmes ravis de voir que Dieu n'eût pas permis qu'un si grand homme, qui avait vécu si exemplairement durant tant de temps dans le désert, persistât jusqu'à la mort dans une erreur, où sa seule ignorance et sa simplicité l'avaient engagé, et nous noue levâmes tous pour lui en rendre de très humbles actions de grâce, Durant notre oraison, ce bon vieillard se trouva si surpris de voir que ces images anciennes et ces fantômes accoutumés qu'il se représentait en Dieu lorsqu'il priait, s'effaçaient de son esprit, que s'abandonnant tout à coup aux soupirs et aux larmes, et se jetant par terre, il cria en soupirant à haute voix: « Hélas! que je suis misérable, ils m'ont enlevé mon Dieu! Je ne sais plus maintenant à quoi je me dois attacher, ou qui je dois adorer, ou à qui je puis m'adresser. » (Coll., X, 3, P. L., 49, 823)