Tactiques diverses du démon de gourmandise; comment les déjouer.
C'est donc contre la gourmandise que nous devons combattre d'abord. Et dans la nécessité où je me trouve de parler ici de la mesure qu'on doit garder dans le jeûne et dans la qualité des viandes, je serai encore obligé d'avoir recours aux traditions et aux règlements des solitaires de l'Égypte, que tout le monde sait être les plus parfaits, les plus éclairés, et les plus austères de tous les anachorètes. (Inst., V, 3. P. L., 49, 205.)
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Car il y a deux sortes d'intempérants. Les uns recherchent une nourriture agréable, et ne se mettent pas en peine de manger beaucoup, pourvu qu'ils mangent ce qui est à leur goût, et ces personnes se laissent tellement surmonter par cette sensualité dans ce peu de nourriture qu'elles prennent, qu'elles gardent longtemps dans leur bouche les morceaux qu'elles mangent et qu'après les avoir mâchés et remâchés, à peine peuvent-elles se résoudre à les avaler; cette intempérance est celle qui consiste dans le goût et dans la délicatesse des viandes, on l'appelle laimargie. Les autres regardent l'abondance.
Ils ne regardent pas les choses délicieuses, et soit que les choses soient bonnes, soit qu'elles ne le soient pas, cela leur est indifférent, parce que cette espèce d'intempérance n'excite et ne porte qu'à manger. De quelque nature que les viandes puissent être, elles leur sont bonnes ; car pourvu qu'ils se remplissent et qu'ils regorgent, ils sont contents. Cette intempérance s'appelle gourmandise, gastrimargie; et pour dire l'origine des mots, l'un est pris d'un terme qui signifie la passion de se rassasier et de se remplir et l'autre d'une expression qui marque un désir ardent du plaisir et de la volupté qui flatte le palais. (Dorothée, XV. P. G., 88, 1789.)
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Ayant à parler contre l'intempérance, c'est en cette occasion comme en toutes les autres, que je dois parler contre moi-même. Car ce serait une merveille, qu'un homme pût se délivrer de sa tyrannie avant que d'entrer par la mort dans le tombeau.
L'intempérance est comme une hypocrisie de notre estomac, qui n'étant que trōp rassasié semble encore crier qu'il a besoin de manger et étant si plein qu'il crève, est tout à se plaindre qu'il meurt de faim. L'intempérance est la maîtresse ingénieuse des assaisonnements et des ragoûts, et la source des délices de la bonne chère. (Clim., XIV, 1, 2. P. G., 88, 864.)
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Considérez en quel état vous vous trouvez le matin, à midi, et à la dernière heure qui précède votre repas, et vous connaîtrez par là quelle est l'utilité du jeûne. Vous trouverez qu'au matin, étant moins éloigné du souper du jour précédent, il vous en restera des pensées libres et dissipées, qui altéreront le repos de votre esprit, que vers midi vous en aurez de plus tranquilles, et qu'au coucher du soleil qui est l'heure de votre repas, votre esprit sera entièrement mortifié et humilié. (Clim., XIV, 23. P. G., 88, 868.)
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Lorsque vous êtes à table, mettez-vous devant les yeux la mort et le jugement. Car à peine pourrez-vous encore par ce moyen arrêter un peu votre intempérance. Lorsque vous buvez, pensez toujours au vinaigre et au fiel que l'on présenta à Jésus-Christ votre maître, et ainsi ou vous demeurerez entièrement dans les bornes de la sobriété, ou au moins vous en aurez des sentiments plus humbles, et en jetterez de profonds soupirs. (Clim., XIV, 32. P. G., 88, 870.)
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Le jeûne est une violence que l'on fait à la nature; un retranchement de tout ce qui peut satisfaire notre goût, un amortissement de l'ardeur de notre concupiscence, un bannissement des mauvaises pensées, un affranchissement des songes fâcheux, une purification de la prière, un flambeau de l'âme, une garde de l'esprit, une illumination des ténèbres de notre coeur, une entrée à la componction, un humble gémissement, une affliction pleine de joie, un resserrement de la trop grande effusion de paroles, une des causes de la tranquillité de l'esprit, un rempart de l'obéissance, un adoucissement du sommeil, un remède salutaire pour la santé de notre corps, un médiateur de la bienheureuse paix de l'âme et du calme des passions, un effacement des péchés, une porte du paradis, et une volupté toute céleste. (Clim., XIV, 34. P. G., 88, 870.)