Les festins des moines.
Postumien ayant rappelé le régal que lui avait offert un moine de Libye, Sulpice-Sévère raille les Gaulois sur leur bon appétit. Son ami Gallus se reconnaît incapable de suivre le régime des Africains.
La différence des climats explique la diversité des observances.
« Lui, pleurant de joie, se jette alors à ses genoux, nous embrasse à plusieurs reprises et nous invite à prier en commun ; puis il étend à terre des peaux de chevreaux, sur lesquelles il nous fait asseoir. Il nous servit un dîner, certes très splendide : c'était la moitié d'un pain d'orge. Or nous étions quatre et lui faisait le cinquième. Il nous apporta aussi un faisceau d'herbe dont le nom m'échappe ; cette herbe ressemblait à la menthe, abondait en feuilles et avait la saveur du miel. Cette douceur extraordinaire nous charma et nous satisfîmes notre appétit. » Alors moi souriant à Gallus : « Que te semble, Gallus, d'un pareil dîner ? un faisceau d'herbe et la moitié d'un pain d'orge pour cinq hommes. » Gallus qui est fort timide, rougit un peu à cette attaque : « Sulpice, dit-il, selon ta coutume, tu ne laisses passer aucune occasion de nous accuser d'être de gros mangeurs. Mais il y aurait cruauté à toi de nous forcer, nous autres Gaulois, à vivre comme des anges du reste je suis persuadé que pour le plaisir de manger, les anges mangent eux-mêmes), car, à moi seul, je craindrai d'attaquer cette moitié de pain d'orge. Qu'il s'en contente, ce Cyrénéen, que la nature ou la nécessité ont contraint de jeûner, ainsi que ces gens que le ballottement du vaisseau avait, je pense, forcés à la diète. Nous autres, nous sommes loin de la mer et encore une fois, nous sommes Gaulois. Mais que Postumien continue plutôt l'histoire de son Cyrénéen. »
« A l'avenir, dit Postumien, je me garderai de vanter la frugalité de qui que ce soit, de crainte d'offenser nos Gaulois, en citant de tels exemples. Cependant j'avais résolu de vous parler aussi du souper de ce Cyrénéen et des repas suivants ; mais je n'en ferai rien de peur que Gallus ne croie que je le raille. » (Sulpice-Sévère, Dial., 1. P. L., 20, 187.)
Cassien1, à propos des observances du temps pascal, et après lui Climaque, mettent en garde contre la sensualité qui veut prendre les jours de fête sa revanche des jeûnes.
Cependant les menus des repas ne doivent-ils pas aider la joie intérieure à se manifester?
La réponse est donnée par un beau miracle accordé à la foi simple d'Apollon et de ses enfants.
« Il ne convient pas de jeûner lorsque l'époux est présent. » Jésus-Christ, aux fêtes de Pâques, fait reconnaître sa présence et la règle monastique voile sa sévérité.
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Le Juif se réjouit au jour du sabbat et aux jours de fêtes, et un solitaire intempérant se réjouit aux jours du samedi et du dimanche. Il compte durant le carême combien il y a encore de temps jusqu'à Pâques, et plusieurs jours auparavant il prépare ce qu'il a résolu d'y manger. Celui qui est esclave de son ventre ne pense qu'aux mets délicieux dont il pourra se rassasier en ces fêtes solennelles ; mais le serviteur de Dieu ne pense qu'aux grâces et aux vertus dont il pourra s'enrichir en ces jours. (Clim., XIV, 8. P. G., 88, 864.)
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Je ne veux pas aussi passer sous silence ce que nous apprîmes qu'il fit peu de jours après qu'il se fût enfermé dans cette caverne avec quelques solitaires. Le saint jour de Pâques étant venu, et en ayant là tous ensemble solennisé la veille avec les cérémonies ordinaires, lorsqu'on leur préparait à manger de ce qu'ils avaient, qui n'était qu'un peu de pain fort sec, et quelques herbes que ces solitaires salent pour les pouvoir conserver, le saint leur dit : « Si nous avons de la foi, et si nous sommes véritablement fidèles serviteurs de Jésus-Christ, que chacun de nous lui demande s'il a agréable qu'en cette fête il fasse en toute assurance meilleure chère que de coutume. » Sur quoi ces solitaires lui ayant présenté que se reconnaissant indignes de recevoir cette grâce, c'était à lui qui les devançait en âge et en mérites, de le demander à Dieu, aussitôt le saint avec un visage extrêmement gai se mit en oraison, laquelle étant achevée, et tous ayant répondu « Ainsi soit-il », ils virent aussitôt paraître à l'entrée de la caverne des hommes qui leur étaient entièrement inconnus, lesquels leur apportèrent une si extrême quantité de vivres, qu'à peine en a-t-on jamais vu, ni une telle abondance, ni une telle diversité. Il y avait même des espèces de fruits inconnus à toute l'Egypte, des grappes de raisins d'une prodigieuse grandeur, des noix, des figues et des grenades mûres beaucoup avant la saison. Il y avait aussi quantité de miel et de lait, des dattes d'une grosseur extraordinaire, et des pains très blancs et encore tout chauds, bien qu'il semblât à la manière dont ils étaient faits, qu'ils venaient de quelque pays fort éloigné. Ceux qui apportèrent toutes ces choses ne s'en furent pas plutôt déchargés qu'ils s'en allèrent en grande hâte, comme s'ils eussent été pressés de retourner vers celui qui les avait envoyés, et ces solitaires après avoir rendu grâces à Dieu, commencèrent à manger ce qu'ils avaient ainsi reçu, et s'en nourrirent jusqu'au jour de la Pentecôte, sans pouvoir entrer en doute que Dieu ne leur eût fait ce présent, en considération d'une fête si solennelle. ( H. M., 7. P. L., 21, 416.)
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Coll. XXI, 22, 23. A rapprocher du festin offert par Serénus, Coll. VIII, 1, introd., p. VII. ↩