Son habileté à s'insinuer, à se dissimuler, à renaître.
L'orgueil se conduit d'une autre manière que les autres vices. Il n'attaque pas le religieux dans ce qui est le plus faible et le plus terrestre en lui, mais dans ce qu'il a même de plus spirituel. Il emploie sa plus fine malice pour s'insinuer dans son âme, de sorte que souvent ceux qui ne se sont pas laissé surprendre par les vices plus grossiers, trouvent dans leur vertu même, et de plus profondes et de plus mortelles plaies. C'est pourquoi cet ennemi est d'autant plus dangereux à combattre qu'il est même plus difficile à reconnaître et à éviter. Tous les autres vices nous font une guerre ouverte et sensible. La fermeté avec laquelle nous leur résistons, confond le démon qui nous les inspirait dans l'âme, le rend plus faible et plus timide, et l'oblige à se retirer avec plus de honte, sans qu'il ose presque revenir ensuite. Mais lorsque la vaine gloire a tâché d'élever l'homme pour quelques sujets assez grossiers et qu'elle s'est vue repoussée, elle ne se rebute pas ; mais se souvenant qu'elle a mille formes différentes pour se déguiser, elle quitte la première dont elle s'est servie, et se couvrant de l'apparence des vertus, elle fait ses efforts pour abattre celui qui l'avait surmontée, et pour le frapper d'une plaie mortelle.
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Nos pères ont parfaitement bien comparé ce vice à l'oignon. Quand on lui ôte une peau on lui en trouve aussitôt une autre. Il semble que plus on lui en ôte, plus il en renaisse; et quelque effort qu'on fasse pour le dépouiller, on le trouve toujours revêtu d'une peau nouvelle. (Inst., XI, 2, 5. P. L., 49, 400.)
Les divers degrés de l'humilité; celui qui les a montés est arrivé à la perfection.
La crainte de Dieu est, comme j'ai dit, le commencement de notre salut, puisque c'est elle qui fait que ceux qui désirent d'embrasser une vie parfaite commencent d'abord par se convertir, qu'ils se purifient ensuite de leurs dérèglements passés, et qu'ils conservent les vertus qu'ils ont acquises. Quand cette crainte a une fois pénétré l'âme d'un solitaire, elle lui donne un mépris général de toutes choses, elle lui fait oublier ses parents, et ne lui fait plus regarder le monde qu'avec horreur.
Ce mépris et ce dépouillement de tous ses biens le mène insensiblement de lui-même à l'humilité; et voici les marques par lesquelles il témoignera qu'il est véritablement humble : 1° S'il mortifie tous ses désirs et toutes ses volontés; — 2° S'il ne cache rien à son supérieur, non seulement de toutes ses actions, mais même de toutes ses pensées ; — 3° S'il ne s'appuie point sur son propre discernement, mais sur la seule lumière, et le seul jugement de son supérieur, recevant ses avis avec ardeur, et les écoutant avec joie ; — 4° S'il est obéissant en toutes choses; s'il garde la douceur envers tout le monde et en toutes sortes d'occasions ; — 5° Si, bien loin de faire aucun tort à personne, il ne s'afflige pas même des injures qu'il reçoit des autres ; — 6° S'il n'ose rien faire que ce qui est permis par la règle et par l'exemple de nos anciens ; — 7° S'il ne trouve rien de trop vil et de trop bas, et s'il se regarde dans tout ce qu'on lui commande comme un serviteur lâche et paresseux, et comme un indigne ouvrier; — 8° S'il se croit le dernier de tous, non de paroles et par un son extérieur de la bouche, mais par un sentiment intérieur de son âme; — 9° S'il retient sa langue, et s'il n'élève point sa voix; — 10° Enfin s'il ne s'emporte point avec trop de facilité et de légèreté dans le ris.
C'est par ces marques et par d'autres semblables qu'on peut reconnaître si l'humilité est sincère. Et lorsque le religieux possède véritablement cette vertu, elle l'élève plus haut, et le conduit à cette charité divine où la crainte ne se trouve plus, et par laquelle il commence à faire comme naturellement et sans peine, ce qu'il n'observait d'abord qu'avec beaucoup de répugnance, parce qu'il agit non plus par le mouvement de la crainte, ou par l'appréhension des supplices, mais par l'amour même du bien, et par le goût et le plaisir qu'il trouve dans la vertu. ( Inst., IV, 39. P. L., 49, 193.)