1.
Saint Paul, écrivant aux Corinthiens et fortifiant par ses avis l'Eglise de Jésus-Christ naissante, parle de la sorte : « Si une femme fidèle a un époux infidèle qui consente à demeurer avec elle, qu'elle ne se sépare point d'avec lui, car le mari infidèle est sanctifié par la femme fidèle, et la femme infidèle est sanctifiée par le mari fidèle; autrement vos enfants seraient impurs et profanes, au lieu que maintenant ils sont purs. » Si jusqu'ici on a douté de la vérité de ces paroles , qu'on jette les yeux sur la maison de votre père, qui, quoique plongé dans l'idolâtrie, est un homme d'une naissance illustre et d'une profonde érudition : on verra que cet avis de l'Apôtre a été salutaire et avantageux à voire famille, puisque les fruits qu'elle a fait naître ont adouci l'amertume de sa racine, et que d'une mauvaise tige on a vu couler un baume précieux. Vous êtes née d'un père infidèle et d'une mère fidèle, et néanmoins vous avez donné la vie à ma chère Paula. Qui eût jamais cru qu'Albin , prêtre des idoles, eût pu devenir l'aïeul d'une fille qui, balbutiant encore, chanterait devant lui les louanges de Dieu, et que le vieillard eût élevé dans sa maison une épouse de Jésus-Christ? Nous voyons ainsi qu'une maison de fidèles sanctifie un père infidèle, et que celui qu'une famille fidèle environne est déjà novice clans la foi. Je crois que Jupiter lui-même eût enfin adoré Jésus-Christ s'il eût eu une semblable famille. Peut-dire qu'Albin rira de ma lettre et qu'il m'appellera ridicule et insensé, car son gendre avant sa conversion agissait de la même manière. Souvent on ne naît pas dans la foi des chrétiens, mais toujours on le devient par la foi des autres. Le capitole est désert, les temples de home sont pleins de toiles d'araignées, et, à voir le peuple de cette ville passer auprès de ses autels en ruine et courir en foule au tombeau des martyrs, on croit qu'elle est entièrement changée. Je vous tiens ce langage, ma chère Léta, afin que vous ne désespériez point du salut de votre père, que vous le gagniez par cette foi qui vous a rendue digne d'être mère de votre fille, et qu'enfin vous jouissiez du bonheur et de la félicité de toute votre famille. Ce qui parait impossible aux hommes ne l'est pas à Dieu; il est toujours temps de se convertir. Un scélérat gagna le ciel en mourant sur la croix, et Nabuchodonosor, roi de Babylone, après avoir perdu la forme d'un homme et avoir vécu dans les bois comme les bêtes, fut remis en son premier état. Mais je laisse ces exemples tirés de l'antiquité, de peur que les incrédules ne les prennent pour des tables. N'est-il pas vrai que depuis peu de temps un de vos parents, de la famille des Gracques, préfet de la ville de Rome, a détruit l'autel consacré au dieu Mithra, rompu et fait briller ce qui servait au culte des faux dieux, et par ces gages qu'il a donnés a obtenu enfin le baptême ? D'ailleurs Rome est aujourd'hui un lieu de solitude pour l'idolâtrie; et ces dieux, que tant de nations adoraient autrefois, sont aujourd'hui cachés dans les greniers avec les rats et les hiboux. La croix est peinte sur les étendards des armées, et elle est le plus riche ornement des diadèmes et des couronnes des rois. Les Egyptiens ne connaissent plus que le dieu qui a été crucifié, et nous voyons arriver tous les jours une infinité de solitaires qui viennent de la Perse, des Indes et d'Ethiopie. Les Arméniens ont mis bas leurs carquois, les Huns s'instruisent dans la vraie religion, et la chaleur de la foi échauffe les glaces de la Scythie. On voit des Eglises dans le camp des Gètes, et c'est sans doute parce qu'ils adorent le même Dieu que nous que nos armées ne remportent plus sur eux de brillantes victoires. Mais je m'engage insensiblement dans une autre matière que celle dont j'ai à vous entretenir; car je veux satisfaire à ce que vos prières et celles de l'illustre Marcella ont exigé de moi, et vous enseigner dans cette lettre à élever la petite Paula, qui a été consacrée à Jésus-Christ avant sa naissance et même avant qu'elle fût conçue. Nous rencontrons en elle quelque chose de ce qui est rapporté dans les livres des prophètes : la stérilité de sainte Anne fut changée en une fécondité bienheureuse, et les larmes que vous a coûtées votre fécondité vous donneront des enfants qui vivront toujours. Je suis persuadé qu'une femme qui a offert à Dieu les premiers fruits de sa couche. mettra au monde plusieurs enfants. C'est ainsi que dans l'ancienne loi on offrait à Dieu les premiers nés; c'est ainsi que Samuel et Samson furent consacrés au Seigneur, et que saint Jean-Baptiste, à l'arrivée de la Vierge, tressaillit de joie dans le sein de sa mère et fit quelques efforts pour aller au-devant du Dieu dont il était le précurseur. Appliquez-vous donc à donner à votre fille une éducation digne de sa naissance. Samuel fut nourri dans le temple; saint Jean fut instruit dans le désert, ne coupant jamais ses cheveux, ne buvant point de vin; il s'entretint avec Dieu dès ses premières années. Fuyant la société, il vécut de miel sauvage et se couvrit de la peau d'une bête, pour donner une idée plus forte de la pénitence à ceux à qui il la prêchait. C'est ainsi que vous devez élever une âme qui sera la demeure du Tout-Puissant. Qu'elle n'apprenne à écouter et à dire que ce qui peut lui inspirer la crainte de Dieu; qu'on ne profère jamais des discours impurs devant elle; qu'elle n'entende point de chants profanes, et que, balbutiant encore, elle apprenne à prononcer les Psaumes. Éloignez de sa compagnie tous les autres enfants qui auraient des vices, et que les filles qui la serviront n'aient point de rapports avec les étrangers, de peur qu'elles ne lui enseignent ce qu'elles auraient eu le malheur d'en apprendre. Mettez-lui entre les mains des lettres en buis ou en ivoire; faites-lui en connaître les noms: elle s'instruira ainsi tout en se livrant à ses jeux; mais il ne suffira pas qu'elle sache de mémoire le nom de ces lettres et qu'elle les appelle de suite : vous les mêlerez souvent ensemble, mettant les dernières au commencement et les premières au milieu, afin qu'elle les connaisse moins de vue que par leurs noms. Lorsqu'elle commencera à écrire, que quelqu'un dirige sa petite main tremblante pour la soutenir, ou trace des caractères sur des tablettes, afin qu'elle suive les mêmes lignes sans pouvoir s'en écarter. Faites-lui assembler les mots, en lui proposant des prix et en lui donnant pour récompense ce qui plait d'ordinaire aux enfants de son âge. Qu'elle ait de jeunes compagnes, afin que les applaudissements qu'elles pourront recevoir excitent son émulation et son ardeur pour l'étude. Ne lui reprochez pas la difficulté qu'elle éprouve à comprendre; au contraire, encouragez-la par des louanges ; faites en sorte qu'elle soit également sensible à la joie d'avoir bien fait ou à la douleur de n'avoir pas réussi. Surtout prenez garde qu'elle ne conçoive pour l'étude une aversion qu'elle peut conserver dans un âge plus avancé. Que les mots dont on se servira pour l'accoutumer à s'exprimer ne soient point des termes inventés ou trouvés par hasard: qu'elle nomme les apôtres, les prophètes et les patriarches , commençant par Adam et suivant l'ordre de saint Matthieu ou de saint Luc, afin qu'elle se garnisse la mémoire d'expressions qui dans la suite lui seront d'une grande utilité. Choisissez-lui un maître de bonnes moeurs et d'une capacité éprouvée. Je suis persuadé qu'un homme habile ne refuserait pas de faire pour sa parente ou pour une file. de haute naissance ce qu'a l'ait Aristote pour Alexandre, et qu'il ne regarderait pas comme au-dessous de lui de poser les premiers fondements de son éducation. Une personne de mérite instruira sans doute mieux votre fille qu'un ignorant. Empêchez-la aussi de prononcer les mots à demi et déjouer avec l'or et la pourpre, car l'un nuirait à son langage et l'autre à ses moeurs : elle ne doit rien apprendre en son enfance qu'elle soit obligée d'oublier dans la suite. On dit que la manière de parler de la mère des Gracques contribua beaucoup à les rendre éloquents, et qu'Hortensius fortifia son langage cri entendant son père. On efface difficilement les premières impressions que reçoit une jeune âme. Rarement on rend à la laine teinte sa couleur naturelle, et une urne garde toujours l'odeur de la première liqueur dont elle a été imbibée. Il est rapporté dans l'histoire grecque qu'Alexandre-le-Grand conserva dans ses moeurs et dans sa démarche les défauts de son maître Léonide, parce qu'il les avait pris dès son enfance. On imite naturellement les vices d'une personne, et l'on tombe sans peine dans les défauts de celui dont on rie peut acquérir les vertus. Que sa nourrice ne soit point une babillarde ni une femme adonnée au vin ou aux plaisirs. Qu'elle saute au cou de son aïeul quand elle le rencontrera, et qu'elle lui chante les louanges de Dieu, ne voulut-il pas l'écouter; qu'elle sourie en voyant sa grand'mère; qu'elle comble son père de caresses; qu'elle soit chérie de tout le monde. Faites en un mot que cette jeune fille si aimable fasse la joie de toute sa famille. Faites-lui connaître de bonne heure les mérites et les vertus de son autre aïeule et de sa tante. Apprenez-lui quel est le maître qu'elle doit servir, et l'armée dans laquelle elle doit s'enrôler et combattre à leur exemple; qu'elle souhaite de vous quitter pour aller demeurer avec elles. Ne lui percez point les oreilles; ne lui mettez ni céruse ni fard sur le visage; ne lui teignez point les cheveux et ne la chargez pas de diamants et de perles; qu'elle ait des vertus avec lesquelles elle pourra acquérir les trésors de l'Evangile. Une noble dame de Rome, appelée Pretextata, habilla et coiffa il y a quelque temps Eustochia à la mode du siècle, obéissant ainsi aux ordres de son mari qui voulait la détourner du dessein qu'elle avait de se consacrer à Dieu ; mais la nuit suivante un ange vint la trou ver et lui lit d'horribles menaces : «Avez-vous bien osé préférer les ordres de votre mari au Sauveur? » lui dit-il ; avez-vous bien osé mettre la main sur une tête consacrée à Dieu? Cette main criminelle sèchera tout à l'heure, afin que par la sévérité d'un tel châtiment vous compreniez toute la grandeur de votre faute; et dans cinq mois vous serez traînée aux enfers et vous verrez mourir votre mari et vos enfants si vous commettez encore une pareille faute.»Tout cela arriva comme l'ange avait prédit, et l'on connut par la mort soudaine de cette femme qu'elle avait attendu trop longtemps pour faire pénitence. C'est ainsi que Dieu châtie ceux qui profanent son temple. Je ne prétends pas en vous rapportant cette histoire insulter à la misère des malheureux, mais vous enseigner avec quel soin vous devez conserver ce que vous avez promis à Jésus-Christ. Le prêtre Héli devint coupable par les péchés de ses enfants. On ne reçoit point à l'épiscopat un homme qui laisse ses enfants s'adonner aux plaisirs et aux dérèglements. D'un autre côté, saint Paul assure qu'une femme fait servir ses enfants à son propre salut si elle fait en sorte qu'ils demeurent dans la foi, la charité et l'innocence. Si l'on impute aux parents les fautes que leurs enfants commettent dans un âge avancé, ne leur imputera-t-on pas plutôt celles d'un âge où ils ne connaissent pas encore la différence du bien et du mal? Vous sauveriez votre fille de la morsure d'un serpent, et vous n'empêcherez pas qu'elle tombe dans les piéges du démon, qu'elle boive dans la coupe d'or de Babylone, et qu'elle aille avec Dina voir les filles étrangères! On présente ordinairement le poison dans une liqueur douce comme le miel, et toujours une apparence de vertu nous attire vers le vice.